«Le risque, c’est de se retrouver avec une gare low cost»

FIASCO • Municipale en charge du logement, de l’environnement et de l’architecture, Natacha Litzistorf avertit: non seulement les travaux pourraient se terminer après la date annoncée de 2038, mais les Lausannois risquent de se retrouver avec une gare en dessous des standards actuels.

  • Les Lausannois devront s’habituer à au moins treize ans de travaux... En médaillon la municipale verte, Natacha Litzistorf. MISSON-TILLE

    Les Lausannois devront s’habituer à au moins treize ans de travaux... En médaillon la municipale verte, Natacha Litzistorf. MISSON-TILLE

Lausanne Cités: Etes-vous satisfaite des aménagements provisoires installés sur la place de la gare en décembre dernier?

Natacha Litzistorf: Le principe était de tester les aménagements et les usages pour voir ce qui pouvait fonctionner ou pas. Pour l’heure, il n’y a donc pas assez de recul pour dresser un bilan. Mais contrairement à ce que l’on a pu dire, la patinoire a plutôt bien marché, avec plusieurs milliers de personnes qui en ont profité. Les Silent Party et les espaces arborés, quand le soleil était là, aussi. En mai enfin, il y aura le festival BDFIL, qui promet également de trouver son public, sans oublier la Fête de la Nature.

A quoi s’attendre après BDFIL?

Il y aura des aménagements, mais pas aussi importants que pour BDFIL. Même si nous ne communiquerons qu’en mai prochain, je peux vous dire que les commerçants et les acteurs de la culture et du sport ont été nombreux à faire part de leurs idées et sont prêts à s’approprier les lieux.

La fin des travaux à la gare est agendée pour... 2038. Jusqu’à quand les aménagements provisoires seront-ils maintenus?

Jusqu’au milieu de l’année prochaine, parce que malgré les retards et changements annoncés, les CFF prévoient de lancer les travaux en 2024. Entre 2024 et 2028, ils vont travailler par lots, de l’est vers l’ouest de la gare. Lausanne devra s’habituer à un chantier qui durera treize ans.

Ces aménagements ont coûté plus de 300'000 francs. Qui va les payer?

La Ville n’aurait jamais dû avoir à les faire donc j’entends bien présenter la facture aux CFF et à l’OFT (Office fédéral des transports). Et encore, cette somme ne représente que la partie émergée de l’iceberg…

Que voulez-vous dire par là?

Contrairement à ce que semble penser l’OFT, les retards de travaux avec une livraison de la version finale de la gare prévue pour 2038, engendrent de très nombreux surcoûts. Tout l’enjeu est de se mettre d’accord sur le périmètre de ces surcoûts, qui à mon sens est très large: il y a l’impact sur les commerçants de la gare et aux alentours, sur les projets de métros qui seront retardés et impliqueront la mise en place de lignes de bus, etc. Tout cela devra être correctement quantifié et pris en considération.

Les CFF et l’OFT vont-ils finalement entrer en matière? En d’autres termes, mettre la main au porte-monnaie...

Ils ne semblent pas vouloir tenir compte d’un périmètre élargi aux secteurs réellement impactés, ils estiment donc que les surcoûts seront essentiellement liés au «travail supplémentaire des ingénieurs» et pensent malgré les retards maintenir des ordres de grandeur budgétaires identiques à ceux prévus. Le risque sera qu’ils nous livrent au final un ersatz de gare, une sorte de gare low cost de qualité inférieure à ce qui a été fait ailleurs, pour rester dans les coûts prévus. Et ça, ce serait inacceptable.

Quelle est donc votre marge de manœuvre?

Il va falloir beaucoup négocier pour trouver un compromis. Je suis prête à envisager la possibilité d’une confrontation dure si la question des périmètres des surcoûts n’est pas prise en compte.

Est-il possible que les travaux se terminent plus tard qu’en 2038?

Absolument, car le concept actuel comprend certes des propositions intéressantes mais qui n’ont pas été testées jusqu’au bout. Ainsi, si la question de l’allongement du quai numéro 1 et celle de la gestion du flux des passagers ne sont pas correctement traitées, je ne suis pas sûre que l’OFT lèvera ses charges. On risquera alors de revenir à la case départ.

L’impunité prévaut aux CFF et au sein de l’OFT, l'éditorial de Charaf Abdessemed

La Ville et le Canton peuvent s’indigner, s’offusquer montrer les gros bras, le constat est aussi douloureux qu’implacable: nos autorités sont impuissantes face au fiasco de la gare. Le pouvoir est ailleurs, aux CFF, mais surtout à l’Office fédéral des transports (OFT) qui dépend de la Confédération. Un office aux enjeux gigantesques dans une Suisse en pleine transition énergétique, mais qui n’arrive pas, ne sait pas ou ne peut pas mener à bien ses missions.

Une sorte d’hydre juridico-bureaucratico-technocratique tout puissant, sans contrôle véritable et dont la seule réponse face aux incroyables errements du chantier de la gare, est: circulez il n’y a rien à voir. La preuve? Chaque fois qu’il est question d’une éventuelle indemnisation pour l’incontestable préjudice subi, l’OFT botte en touche. Et il y a mieux encore: aussi incroyable que cela puisse paraître, aucune tête n’est tombée: ni aux CFF, ni à l’OFT.

13 ans de retard - dans le meilleur des cas -, et pour solde de tout compte, une impunité qui incarne à souhait l’incroyable pouvoir de la technostructure, tout en alimentant comme un lent venin, la progression du populisme ambiant. A la Ville de Lausanne, il ne reste pour l’heure que la gestion des dommages collatéraux, avec des aménagements provisoires comme piètre lot de consolation, et la perspective d’un bras de fer avec l’OFT, dont rien ne dit qu’elle sortira victorieuse (lire notre article en page 5). Quelle qu’en soit l’issue, le combat mérite d’être mené. Il en va de Lausanne bien sûr, mais aussi d’une certaine idée du fédéralisme et de la démocratie.