Inquiets et agacés, les commerçants de la gare ne voient pas le bout du tunnel

RAS-LE-BOL • Tandis que les pendulaires tentent de s’adapter aux travaux de la gare de Lausanne, la situation est bien plus difficile pour les commerçants. Surtout pour ceux situés Sous-Gare qui déplorent un environnement toujours aussi peu propice au commerce, ainsi que des difficultés pour obtenir un planning clair… et une éventuelle indemnisation!

  • Derrière le chaos dû aux travaux, au fond de l’image, l’enseigne «Au paradis du fromage» tente tant bien que mal de survivre. Photo Santiso

«La commune se dédouane, tout le monde se renvoie l’ascenseur»
Olinda Dos Santos, gérante du commerce 
«Au paradis du fromage»

Débris en tous genres, barrières étalées un peu partout, sol jonché de gravas, où quelques engins de chantier viennent rappeler qu’il s’agit de travaux et non d’une zone de guerre. La face sud de la gare de Lausanne, laissée à l’abandon depuis plusieurs mois, fait peine à voir. Et ce ne sont pas les commerçants de la rue du Simplon, dissimulés derrière d’encombrantes barricades, qui diront le contraire. Au Café de l’Europe, dont les fenêtres donnent directement sur ces fameux panneaux en bois sans autre perspective depuis un an et demi, on est inquiets.

Selon son patron, Laurent Degardin, l’établissement accuse une perte de clientèle qui s’élève à au moins 40%. «Nous avons reçu des aides pendant le Covid, prétendument à fonds perdus, mais celles-ci nous coûtent finalement 1% d’intérêt. C’est un coup de couteau dans le dos.» A peine remis des pertes accumulées pendant la crise sanitaire, le restaurant doit désormais faire face à ce nouveau défi logistique, en pleine inflation. «Nous ne sommes pas rassurés, on minimise les dépenses, mais tout coûte plus cher, explique Laurent Degardin. La farine, par exemple, a augmenté de 10 à 20%.» Le chantier de la gare complique également les livraisons des fournisseurs, ainsi que le passage des camions poubelles. Malgré l’impact sur son chiffre d’affaires, le Café de l’Europe n’a reçu aucune indemnité de la part des CFF, ni de la Ville, qui se «rejettent la faute les uns sur les autres», selon le restaurateur.

«Je ne sais pas jusqu’à quand on va pouvoir tenir comme ça»

A la rue du Simplon, les situations similaires s’accumulent. Bakir Fayik, gérant du kebab Nemrut, qui déplore lui aussi une perte de fréquentation de l’ordre de 40%, se demande «jusqu’à quand il va pouvoir tenir comme ça.» Même son de cloche chez Olinda Dos Santos, gérante du commerce «Au paradis du fromage». Grâce à une clientèle fidèle, elle parvient à limiter les dégâts, mais le manque de visibilité lui a déjà causé une perte de 10 à 15%. Elle non plus n’a reçu aucune indemnité. «La commune se dédouane, tout le monde se renvoie l’ascenseur», déclare-t-elle. «Nous sommes inquiets, on se pose des questions, on se demande ce qu’il va advenir de nous.»
Du côté des CFF, on affirme connaître «tous ces commerçants» et suivre leur dossier. Concernant les demandes d’indemnisation, «nous sommes en discussions avec certains», assure le porte-parole Jean-Philippe Schmidt. Quant à la Ville, elle organise des réunions d’information chaque trimestre afin de les tenir au courant, mais celles-ci portent «sur les heures de travail», nous fait remarquer la vendeuse d’un des magasins impactés.

Censé s’achever en 2025, le chantier de la gare a été suspendu et accuse désormais 14 ans de retard. Pour faire patienter les voyageurs, la Ville a tenté de se montrer créative. Depuis plusieurs mois, de nombreuses activités se succèdent devant l’entrée principale du bâtiment. Patinoire éphémère, expositions, buvette et place de jeux pour enfants. A vu d’œil, on constate que la face sud de la gare n’est pas vraiment traitée avec la même attention. Mais, malgré les apparences, la Ville assure porter le même soin aux deux côtés du bâtiment: «Dans l’attente de la reprise du chantier CFF, de nombreuses manifestations ont été offertes à la population, tant au nord qu’au sud, où l’espace public a été aménagé pour accueillir notamment un agrandissement de terrasse», affirme la Municipalité. Une terrasse qui bénéficie exclusivement au Café du Simplon a effectivement vu le jour en face de la fromagerie. De leur côté, les CFF assurent que ces palissades de chantier, nécessaires pour sécuriser la zone de travaux, seront agrémentées de panneaux informatifs et décoratifs cet automne.

Trafic et mobilité impactés

Au nord comme au sud, les temps sont donc très durs pour les commerçants. Ceux de l’Avenue de la gare aussi sont mécontents et constatent une baisse de fréquentation (de 10 à 20% en fonction des commerces), en particulier à cause de la suppression des places de parc situées aux abords de la gare. En effet, ce ne sont pas moins de 38 places de stationnement au sud et 81 au nord qui ont été supprimées, selon les CFF. Cependant, l’ex-régie fédérale assure que des améliorations de stationnement ont été portées ces derniers mois, «notamment pour les places taxis, celles destinées aux personnes à mobilité réduite et le remplacement des places dépose minutes par des places de stationnement, par exemple à l'ouest de la rue du Simplon.» Elle rappelle également la construction du futur parking de la gare prévue au chemin des Epinettes.

En attendant, les commerçants doivent se débrouiller et parfois faire appel au système D. Fabrice Dafniet, à la tête du salon de coiffure 44 Avenue paie de sa poche 275 francs par mois pour assurer une place de parc à ses clients. Et doit quotidiennement faire la police pour défendre l’espace, désormais recherché comme le Graal autour de la gare. Comme pendant la pandémie, le coiffeur a dû trouver des façons de se réinventer en développant une gamme de coloration végétale. «Sans cela, j’aurais fermé boutique, déclare-t-il. Et j’ai un peu d’argent de côté, ce qui me permet de tenir pour l’instant.» Combien sont-ils, autour de la gare, à puiser dans leurs économies personnelles pour maintenir leur commerce à flot? Difficile à dire, seule certitude, ils savent tous qu’ils devront serrer les dents encore très longtemps…