Alerte pénurie chez les rhumatologues vaudois

CRISE • Faute de relève, il n’y a plus que 22 médecins spécialisés en rhumatologie dans tout le canton. Alors que les listes d’attente s’allongent aussi bien chez les rhumatologues de ville qu’au CHUV, de nombreux patients souffrant parfois de maladies très douloureuses risquent de rester sur le carreau.

  • Les rhumatologues traitent de nombreuses pathologies, souvent chroniques et douloureuses. En médaillon, le Dr Marc-André Schürch, président du Groupement des Rhumatologues Vaudois. 123RF

    Les rhumatologues traitent de nombreuses pathologies, souvent chroniques et douloureuses. En médaillon, le Dr Marc-André Schürch, président du Groupement des Rhumatologues Vaudois. 123RF

«La réduction drastique de l’effectif vaudois des rhumatologues a de quoi inquiéter» Dr Marc-André Schürch, président du Groupement des Rhumatologues & Rééducateurs Vaudois

Si vous souffrez d’une maladie rhumatismale et que vous avez besoin d’un médecin pour vous suivre, vous risquez d’avoir un problème et pour le moins d’attendre longtemps avant d’espérer décrocher un rendez-vous. Pour une raison très simple, une importante pénurie de médecins spécialistes en rhumatologie pointe à l’horizon, avec des effets perceptibles dès cette année.

Retraités

Dans le canton de Vaud, en 2022, pas moins de huit médecins installés en médecine privée ont ainsi pris leur retraite et fermé leur cabinet faute de repreneurs. Huit alors qu’il n’en restera que 22 en activité de ville, cela fait un bon tiers, soit un chiffre énorme.

«Mon collègue de cabinet a pris sa retraite et n’a trouvé personne pour le remplacer et reprendre ses patients, témoigne le Dr Marc-André Schürch, président du Groupement des Rhumatologues & Rééducateurs Vaudois. La réduction drastique de l’effectif vaudois des rhumatologues et des spécialistes en médecine physique et rééducation a de quoi inquiéter, d’autant que nous traitons des pathologies ostéo-articulaires multiples, en particulier des rhumatismes inflammatoires chroniques comme les polyarthrites rhumatoïdes, les rhumatismes psoriasiques et les spondylarthrites ankylosantes qui nécessitent souvent des biothérapies onéreuses, traitements que nous sommes les seuls à être autorisés à prescrire».

Délais à rallonge

Conséquence immédiate pour les patients: des délais d’attente à rallonge. «La charge est telle que nous devons parfois refuser un suivi ou le prévoir avec un délai de trois à six mois, cela devient hautement problématique car nombre de patients avec des affections rhumatologiques souffrent énormément et ne peuvent attendre», témoigne ainsi la Dre Anne Veraguth Jallut, sur le blog des médecins vaudois.

CHUV sollicité

Autre conséquence, le CHUV devient mécaniquement plus sollicité par des patients en manque de praticiens de ville. «Nous sentons en effet un report des consultations en direction du CHUV, avec également chez nous un allongement des listes d’attente», observe le Pr Thomas Hügle, chef du Service de rhumatologie du CHUV, qui emploie au total une dizaine de spécialistes, dont la moitié sont en formation.

Plusieurs facteurs contribuent à expliquer cette pénurie de rhumatologues. D’abord, il y a le fait qu’en Suisse, ces praticiens prennent en charge un éventail de pathologies plus large que dans les pays voisins, en particulier les arthroses, phénomène qui accroit la demande.

Mais ce n’est de loin pas le seul élément d’explication. «Beaucoup de jeunes médecins ne souhaitent pas s’installer en ville et prendre le risque d’une activité indépendante qui a ses propres contraintes. Ils privilégient donc les centres médicaux et cabinets de groupe où ils peuvent en plus privilégier une activité à temps partiel. Il y a clairement un changement de mentalité, d’autant qu’en rhumatologie contrairement à d’autres spécialités, il n’y a pas de clause du besoin pour s’installer» observe le Dr Marc-André Schürch.

Capacités de formation

«Nous avons augmenté nos capacités de formation ces dernières années, mais les médecins que nous formons, car il y a une vraie demande, choisissent fréquemment de travailler à temps partiel, souvent d’ailleurs pour préserver leur vie de famille, confirme de son côté le professeur Thomas Hügle du CHUV. C’est une tendance que nous n’avions pas forcément anticipée. J’imagine que cela concerne aussi d’autres spécialités, mais la rhumatologie, en tant que discipline plutôt petite, est particulièrement concernée».

En réalité, ce manque d’anticipation ne concerne pas uniquement les choix de vie professionnelle privilégiés par les jeunes médecins qui, à l’inverse de leurs aînés babyboomers, ne vivent plus leur métier comme un sacerdoce.

Dix ans de formation

«Pour des raisons de coûts, on a longtemps bloqué la formation des médecins aussi bien au CHUV qu’aux Hôpitaux universitaires de Genève, observe un médecin spécialiste qui tient à rester anonyme tant le sujet est délicat. C’est aussi ce choix-là que nous payons et que nous paierons encore longtemps car il faut au minimum une dizaine d’années pour former un spécialiste».

Une pénurie planifiée, l'éditorial de Charaf Abdessemed

C’est un problème récurrent appelé à devenir de plus en plus aigu. Nous subissons une pénurie de médecins qui met gravement en danger la qualité des soins prodigués à la population. Un exemple? La pénurie de rhumatologues déjà particulièrement inquiétante dans le canton de Vaud (lire notre en article en page 3), mais bien d’autres spécialités sont concernées: pédiatres, psychiatres etc. commencent à manquer cruellement tandis que les listes d’attente s’allongent.

Comment en est-on arrivé là? Il y a bien sûr les changements dans la profession: la médecine n’est plus vécue comme un sacerdoce au service de la collectivité, mais bel et bien comme une activité lucrative comme une autre. Les médecins qui n’entendent plus se consacrer jour et nuit à leur travail, plébiscitent désormais les temps partiels plus compatibles avec une vie familiale et personnelle épanouie. Mais il n’y a pas que cela. Pour des raisons financières, des goulets d’étranglement ont été volontairement organisés dans le passé afin de limiter le nombre de médecins et tenter d’endiguer la folle envolée des coûts de la santé.

Le résultat est connu: les médecins manquent, les coûts de la santé explosent. Alors que le montant du revenu réel des médecins est un véritable mystère, le patient paye donc de plus en plus cher pour un système de soins qui lui garantit des prestations de plus en plus aléatoires. En attendant de former de nouveaux médecins - il faut 10 à 15 ans pour cela – la Suisse se tourne vers… l’immigration, la moitié des spécialistes actuellement formés chez nous n’ayant pas de diplôme de base suisse. C’est certainement bien plus facile que de mettre en place une véritable planification sanitaire, un véritable gros mot dans notre pays.