«L’ECS n’est pas là pour rendre invisibles les usagers de drogues»

TOXICOMANIE • Pourquoi les usagers de drogues squattent-ils toujours la place de la Riponne? Pourquoi l’Espace de consommation sécurisé, projet pilote lancé il y a deux ans, ne peut-il centraliser les actes de consommations? Les réponses d’Aline Bernhardt Keller, responsable du dispositif addictions à la Ville.

  • Aline Bernhardt Keller, responsable du dispositif addictions à la Ville.

    Aline Bernhardt Keller, responsable du dispositif addictions à la Ville.

Deux ans après l’ouverture de l’Espace de consommation sécurisé (ECS) au Vallon, les usagers de drogues squattent toujours la place de la Riponne, comme nous le mentionnions dans notre édition du 17 septembre.
Aline Benhardt Keller:
Il faut être clair: l’ECS n’a pas été conçu pour rendre invisibles les consommateurs de drogues. Il y a trop d’attentes sur ce point. L’ECS a pour but la réduction des risques socio-sanitaires liés à la consommation de drogues. Les personnes sont accueillies par des professionnels. Elles y trouvent un cadre sécurisant qui permet de consommer dans de bonnes conditions d’hygiène mais ce n’est pas un lieu de vie. Entre 11h et 19h30, les usagers bénéficient d’une demi-heure par acte de consommation.

Il n’empêche que l’ECS devait permettre aussi de maintenir, notamment à la Riponne une qualité de vie de l’espace public qui demeure acceptable…
La Riponne appartient à tout le monde. Les usages et les usagers sont nombreux et divers et je crois que les citoyens en sont conscients. La plupart des consommateurs que l’on rencontre à la Riponne ne posent pas problème. Il est vrai, une minorité d’entre eux a parfois des comportements inadéquats, notamment dans les toilettes publiques. Les intervenants de rue vont à leur contact, leur proposent un soutien et les orientent dans le réseau institutionnel. Il s’agit d’un travail complexe et qui prend du temps, mais il ne faut pas stigmatiser toute une population sous prétexte qu’une petite partie se comporte parfois d’une manière inadéquate. Je rappelle que nous parlons ici de personnes particulièrement vulnérables et qui ont la plupart du temps un parcours de vie très difficile. Elles ont en premier lieu besoin d’une écoute et d’un soutien.

Pourquoi est-ce si complexe?
Les personnes qui occasionnent des déchets dans les toilettes publiques sont pour certaines d’entre elles peu connues du réseau et connaissent elles-mêmes peu les prestations d’accueil et de prise en charge. Trouver les mesures efficaces pour aller à leur contact demande du temps et une approche individuelle.

Pourquoi ces usagers-là ne recourent-ils pas à l’ECS ?
Certains d’entre eux vont déjà à l’ECS! Mais pas de manière systématique. L’ECS et la Riponne ne répondent pas aux mêmes besoins pour eux. Pour beaucoup de consommateurs ou d’ex-consommateurs, la place de la Riponne est un espace de sociabilité au cœur de la Ville. Il est important de rappeler que nous sommes dans un état de droit où la liberté de circuler dans l’espace public est garantie pour tous les citoyens. Les consommateurs précarisés ont les mêmes droits que vous et moi. Ils font partie de notre société et ont droit au respect comme tout citoyen. Bien entendu, ils ont également des devoirs et c’est par le dialogue que nous intervenons auprès d’eux pour les leur rappeler.

Finalement, très excentré, le Vallon était-il le lieu le plus adéquat?
Très excentré est un peu fort puisqu’on est à 5-10 minutes à pied de la Riponne… L’ECS est un projet pilote de trois ans géré par la Fondation ABS. Le Vallon a été choisi parce qu’il abrite déjà les autres prestations de cette Fondation. Le bilan final de la phase pilote nous dira s’il faut adapter l’accueil, les horaires ou changer de lieu. A ce jour, les indicateurs définis avec Unisanté, en charge de l’évaluation du projet, montrent que l’expérience est une réussite: fin août 2020, on dénombre un total de 25’700 actes de consommation et chaque mois de nouvelles personnes ont recours à cette prestation. Ces moments sont des occasions privilégiées pour aborder l’hygiène de la consommation. Ces gestes appris à l’ECS protègent à la fois la santé des consommateurs mais aussi celle de la population, notamment en participant au retour du matériel usagé.