Vitrines trop fliquées: les commerçants dénoncent un serrage de vis excessif

COMMERCE • Censée d’abord lutter contre les abus publicitaires des grandes enseignes, les nouvelles directives sur les procédés de réclame dans les vitrines prétéritent aussi les plus petits commerçants. La grogne monte.

  • Trop de réclames en vitrines? La tension monte entre la Ville et les commerçants. MISSON-TILLE

    Trop de réclames en vitrines? La tension monte entre la Ville et les commerçants. MISSON-TILLE

«On voudrait nous pousser à faire faillite qu’on ne s’y prendrait pas mieux» Un commerçant lausannois «Les règles sur les enseignes publicitaires visent à éviter la laideur des rues» Pierre-Antoine Hildbrand, municipal en charge de l’économie

«Depuis, 2004, je gère un local commercial situé sur la rue des Terreaux et cette année nous avons reçu plusieurs lettres du Service de l’économie de la Ville de Lausanne dans lesquelles on nous demande de supprimer la publicité de nos fenêtres, de supprimer les panneaux et d’enlever l'écran LED qui se trouve à l'intérieur de notre vitrine, sous prétexte d'amélioration de l'esthétique du centre-ville».

Manager de la PME Capital Services, et engagée dans un véritable bras de fer avec le Département de l’économie, Raquel Mediavilla ne décolère pas et cache mal son indignation.

Pratiques «inacceptables»

«Je trouve ces pratiques inacceptables car nous, les commerçants, avons besoin de faire de la publicité pour annoncer nos produits. Il est actuellement très difficile de rester sur le marché donc s'ils ne peuvent pas nous aider à nous maintenir à flot, au moins, qu’ils nous laissent travailler».

Comme elle, ils sont de plus en plus nombreux à exprimer leur mécontentement devant ce que d’autres commerçants n’hésitent pas à qualifier, mezza-vocce, de véritable «harcèlement» de la part de la Ville, jugée trop tatillonne sur l’esthétique des devantures de magasin.

Une célèbre agence immobilière de la place a ainsi dû longuement batailler pour trouver un compromis qui lui permet d’afficher ses annonces dans sa vitrine, non sans avoir dénoncé «un deux poids deux mesures». «Je trouve que le concept d’esthétique est très subjectif et dépend beaucoup de l’inspecteur qui vient observer la vitrine, lance encore un petit patron, qui a requis l’anonymat. On voudrait nous pousser à faire faillite qu’on ne s’y prendrait pas mieux».

Directives de 2021

Et c’est une réalité. Depuis quelques mois, la Ville a procédé à un sérieux serrage de vis en matière d’affichage dans les vitrines, et sur le terrain, les deux inspecteurs du Département de l’économie appliquent avec un zèle contesté les nouvelles «directives techniques d’application du règlement communal sur les procédés de réclame» adoptées par la municipalité à la fin de l’année 2021. «Cette question nous préoccupe beaucoup et nous enregistrons de nombreuses remontées de la part de nos membres qui ne comprennent pas toujours que certains acquis antérieurs soient remis en question, réagit Anne-Lise Noz présidente de la Société coopérative des commerçants lausannois (SSCL). Le vrai problème est que ces nouvelles directives qui portent atteinte à une certaine liberté d’entreprendre, comportent une part de subjectivité, et ce qui est subjectif est forcément contestable.»

Contacté, le municipal en charge de l’économie, Pierre-Antoine Hildbrand, ne nie pas le serrage de vis en cours, au nom de la lutte contre «l’uniformisation visuelle de la ville», pointant surtout du doigt «certains projets de nouvelles enseignes publicitaires trop grands ou trop nombreux.»

Privilégier la diversité

«Les règles sur les enseignes publicitaires et contre l’opacification des vitrines visent à éviter la laideur des rues et à maintenir des perspectives visuelles afin d’inciter à la flânerie commerciale, tout en préservant la qualité des espaces publics et le patrimoine architectural lausannois» explique-t-il. Dans la ligne de mire de la municipalité, qui souhaite «privilégier la diversité des petits commerces qui ne peuvent pas rivaliser en termes d’espaces publicitaires», les grandes chaînes internationales qui font que «tous les centres-villes finissent par se ressembler».

Sauf que la majorité des témoignages reçus émanent justement de petits commerçants, qui estiment eux aussi faire les frais de la politique trop restrictive menée par la Ville. «Nous étudions les actions à mener pour soutenir nos membres et restons dans l’attente de directives claires de la part du municipal», conclut Anne-Lise Noz.

Las Vegas sur Léman? L'éditorial de Charaf Abdessemed

Alors oui, ce serait dommage que Lausanne finisse, un jour, par ressembler à une sorte de Las Vegas sur Léman avec ses échoppes ultra-scintillantes, ses pubs bling bling et ses panneaux publicitaires gigantesques. Mais on en est encore loin et le centre de notre bon vieux chef-lieu cantonal, surtout en hiver, brille plus par sa fadeur que par son éclat…

Depuis la fin de l’année dernière, la Ville de Lausanne via ses nouvelles directives sur les procédés de réclame, met un point d’honneur à limiter toute publicité intempestive dans les vitrines et autres devantures de magasins.

L’objectif, légitime, est celui d’empêcher multinationales et autres grosses entreprises d’avoir massivement recours a des procédés publicitaires démesurés qui, c’est vrai, aboutiraient à enlaidir nos rues par une uniformisation délétère, tant les rues centrales de Paris, Budapest, Prague, Milan, Londres ou Madrid se ressemblent désormais lamentablement.

Pour légitime qu’il soit, cet objectif se trompe, au moins partiellement de cible. Il limite certes le vorace appétit publicitaire des grandes enseignes, mais prétérite gravement l’attractivité des petits commerçants, dont la vitrine représente, certes avec la qualité du service, souvent le premier argument de vente. Dans ce domaine comme tant d’autres, le principe de proportionnalité devrait être appliqué avec autant de zèle que n’en mettent parfois les inspecteurs à faire respecter les règlements communaux.

Car pour un centre-ville, s’il est une chose de pire qu’un commerçant qui fait trop de publicité, c’est bel et bien un commerçant qui fait faillite.