Thierry Romanens: «C’est une bonne situation, ça, poète?»

THEATRE • Le chanteur et comédien franco-suisse Thierry Romanens revient sur scène à Lausanne pour présenter au CPO ces 25 et 26 novembre un texte inédit du poète jurassien Alexandre Voisard. Rencontre avec un funambule des mots et Dicodeur à ses heures.

  • MATHILDA OLMI

    MATHILDA OLMI

Lausanne Cités: Vous semblez entretenir une relation très étroite avec le poète Alexandre Voisard puisque c’est votre troisième création autour de son œuvre…

Thierry Romanens: Je l'ai rencontré par hasard en 2006. C'est le premier poète vivant que j'ai croisé, et j'ai été touché, parce que souvent, ceux qu'on apprend à l'école sont décédés. Ça faisait longtemps que j'avais envie de faire quelque chose autour de la poésie et je me suis emparé de son œuvre sans vraiment lui demander, parce que j'avais un peu peur.

«En Attendant Voisard» semble raconter un rendez-vous manqué…

Voisard m'a donné un texte inédit il y a trois ans, qui s'appelle «Le jeu des questions et de l'embarras», que j'ai trouvé assez complexe pour tout dire. Je voulais qu’on le dise ensemble sur scène, comme un dialogue entre deux artistes, deux générations. La pandémie a tout mis en suspens, et au moment de la reprise, le temps faisant son affaire, il m'a dit qu’il devait renoncer à monter sur scène pour des raisons de santé. Et il a rajouté: «Tu fais comme tu veux, avec qui tu veux, mais tu montes ce truc!»

Vous avez dit qu’Alexandre Voisard est le premier poète vivant que vous avez rencontré. Reste-t-il encore des poètes aujourd’hui?

Il y a lui, déjà, et plein d’autres encore! La poésie en soi, qu'est-ce que c'est? C’est une bonne situation, ça, poète? Ou c’est plutôt une manière d'être au monde ? Il faut être le poète de sa vie, avoir ce rapport au monde, fait de beauté et de questionnements.

Est-ce que c’est parce qu’il n’accorde plus assez de place à la poésie que le monde va si mal aujourd’hui?

J'ai entendu récemment une interview de l’auteur Jean-Pierre Siméon qui disait justement qu'on devrait lire tous les jours un poème en classe parce que ça forge un rapport au monde qui est assez essentiel, hors des injonctions d'efficacité, de rapidité, de compétence, de codes, de règles. La poésie est un énorme champ de liberté.

Le spectacle est à la croisée des chemins, entre lecture, théâtre et concert…

Il y a deux personnes qui attendent le poète qui ne vient pas. Et comme il ne vient pas, ils vont commencer à dire son texte. On découvre, on propose, chaque soir, en même temps que le public. C'est une expérience poétique, on fait éprouver, ressentir à quel point la poésie peut nous toucher, y compris de manière très concrète dans notre quotidien. Par exemple, bien plus tard, lors d’une balade en forêt, ou d’un moment de silence, les mots de Voisard vous reviendront.

Sur scène vous serez accompagné par un contrebassiste et un batteur. C’est tout de même un spectacle musical donc?

C’est plus une lecture, soutenue par de la musique qui vient donner du rythme ou une certaine couleur au texte. Ma volonté est vraiment de rendre la poésie de Voisard accessible, de la partager. Chaque soir est différent car le texte est si riche qu’on peut s’y perdre, toujours y découvrir des choses, s’autoriser des égarements, de l’humour aussi. On pense que ses textes peuvent être difficiles d’accès, mais c’est tout le contraire: il y a tellement de portes, une pour chaque personne qui les entend!

Vous avez aussi adapté Ramuz sur scène avec «Et j’ai crié Aline». Les grandes plumes suisses sont-elles une bonne matière à spectacle?

Je suis un amoureux des mots, et Voisard, Ramuz, écrivent quand même vachement mieux que moi! Là encore, on prête à Ramuz une image de lourdeurs, de terroir où je ne sais quoi. J'aime casser ces a priori! J’ai pris «Aline», un des romans les plus noirs, terrifiants de l'infanticide et j'en fais un spectacle enthousiasmant, même si on y parle de la mort et de la brutalité d’un drame insupportable.

«En Attendant Voisard» Au CPO, Lausanne-Ouchy, les 25 et 26 novembre.