Portrait : Papa Wolf, le blues du loup lausannois

MUSIQUE • Fabien Gargiulo habite à Lausanne depuis 32 ans. Loup solitaire romantique et révolté, il a le cœur gros et lourd de ses galères et ses amours, comme ses idoles, les bluesmen d’Outre-Atlantique d’un autre siècle dont il trace le sillon dans la langue de Voltaire.

  • Papa Wolf se définit volontiers comme un loup solitaire. HOFER

    Papa Wolf se définit volontiers comme un loup solitaire. HOFER

C’est son grand-père maternel, chef d’orchestre de jazz aux commandes d’un big band à Dunkerque, qui l’a éveillé aux notes bleues. Après une carrière avortée par la guerre, le papy orchestral s’est retrouvé à bosser dans des bureaux, mais cultivait toujours une vive passion pour la musique, écoutant du jazz et du blues chaque soir sur sa platine. Le premier souvenir musical de Fabien vient d’un de ces moments: on est en 1974, et le vinyle que son grand-père écoute ce jour-là est «Boom Boom» de John Lee Hooker. Explosion dans l’âme et le cœur du jeune Fabien, qui sait ce qu’il fera plus tard: joueur de blues. Mais pas comme dans la chanson de Jonasz ni celle de Johnny. Comme les vrais, ceux du Mississippi.

Un air de Johnny

On compare d’ailleurs souvent sa tessiture de voix avec celle de Johnny, même si Fabien ne revendique aucune filiation avec l’idole des jeunes. S’il respecte le parcours du rocker, il est fan d’un autre Johnny, enfin plutôt d’un John, Campbell, guitariste blanc virtuose très influencé par les bluesmen traditionnels tels que Clarence Gatemouth Brown ou Albert Collins, et a d’ailleurs écrit une chanson dédiée à son idole, sobrement intitulée «Hommage».

Arrivé en Suisse au début des années 90, Fabien, qui a commencé une carrière de comédien de théâtre en France, se fait d’abord embaucher comme enseignant à l’Ecole de Théâtre de Martigny, avant d’atterrir au Petit Théâtre de Lausanne, qui le recrute pour une création. Il en enchaînera finalement quatre, posant définitivement ses valises et ses guitares dans la capitale vaudoise.

Premier amour

Car si Fabien apprécie particulièrement les planches, son premier amour reste toujours le blues. Et qu’on n’aille surtout pas lui dire qu’il est un rocker (c’est bon pour Eddy ça!). C’est le théâtre qui lui permet d’épanouir son répertoire, d’apprendre à exprimer ses émotions, à s’ouvrir, à affiner son personnage. Car Papa Wolf est plus un personnage qu’un alter ego. Et si Gainsbarre était la version foutraque et borderline de Gainsbourg, Fabien lui se préfère en Papa Wolf: «Je trouve qu’il est le seul qui arrive à comprendre Fabien. Fabien est taiseux, il n’aime pas parler de lui, il n’aime pas trop les gens. Papa l’aide à aller de l’avant. Et puis t’as déjà vu un bluesman qui s’appelle Fabien?»

Papa Wolf est un chanteur de rue, un vrai. Il a arpenté celles de Lausanne pour gagner sa vie, et c’est là qu’il a monté son répertoire, testant chacune de ses chansons, à Saint-François ou à Chauderon. «Même les flics me donnaient une thune quand je chantais. Ils venaient vérifier si j’avais bien payé ma carte pour avoir le droit de chanter la semaine, et me glissaient une pièce.»

Totalement autodidacte

Il faut dire que Papa Wolf se démarque des autres, immanquablement: il ne chante aucune reprise, que ses propres chansons, dont il écrit les textes, et la musique. Totalement autodidacte, il n’a jamais appris le solfège, et ses morceaux claquent comme des vrais blues du cru. Car de l’autre côté de l’Atlantique, la recette originelle est la même: une musique populaire, qui vient de la campagne ou de la rue, jouée par des autodidactes aux cœurs abîmés et aux mains travailleuses, habités par une infatigable flamme.

Après deux ans à chanter dans la rue, Fabien monte son premier groupe en 1993, «Marchandise», et enchaîne les tournées dans les bars, jouant même au Casino de Montbenon. Suivront quatre autres formations, plus ou moins heureuses, avant de trouver la bonne, créée en 2020, avec Mr Chris aux percussions, Mr Jo à la lead guitar et aux chœurs, et le Capitaine Columbo à la basse.

L’heure de la reconnaissance a sonné pour le loup lausannois, qui s’est produit régulièrement au Duke’s, à Zelig, ou à La Galicienne, et qui a sorti un EP l’année dernière. Le 4 septembre, il a partagé la scène du Blues Rules Festival de Crissier aux côtés de quelques-uns des meilleurs bluesmen américains actuels. Notamment Archie Lee Hooker, le neveu de John Lee, dont le 45 tours «Boom Boom» tournait il y a 47 ans sur la platine de son grand-père pour allumer en lui le feu du blues.