Hélia Aluai, une vie à l’encre de Chine

CULTURE • Etablie depuis cinq ans à Lausanne, Hélia Aluai poursuit, nichée dans son atelier de Sévelin, son inlassable exploration de paysages intérieurs, de mondes mélancoliques, peuplés de filles-chats, d’humains-loups, de sirènes, de fées, de sorcières et d’âmes errantes…

  • Une artiste hors norme, dans son atelier de Sévelin. CA

    Une artiste hors norme, dans son atelier de Sévelin. CA

Elle est aussi gracile et androgyne que les personnages qu’elle esquisse avec passion depuis si longtemps à l’encre de Chine. De temps à autre, son visage s’éclaircit d’un sourire juvénile accompagné d’un clin d’œil espiègle qui masque mal l’intense gravité qui l’habite en permanence. Amoureuse de l’humain, craintive de ses outrances, Hélia Aluai est une artiste hors norme, heureuse de sa vie de bohème. Cette Portugaise née au Cap-Vert en 1973 à la faveur d’un père militaire dans une colonie qui n’existe plus depuis longtemps, a grandi du côté de Porto, dans une famille aimante férue de culture, de littérature et de musique. Son goût pour les arts s’affirme très tôt sous l’influence d’une mère dont elle héritera d’un inextinguible goût pour une douce mélancolie créatrice…

Délicats personnages

Dès la fin de sa scolarité, elle entame des études aux Beaux-Arts, en sculpture, sans même avoir songé un instant pouvoir faire autre chose. Après avoir travaillé longtemps dans le monde de la décoration, puis entamé et bouclé un master en architecture, la voilà qui débarque à Lausanne il y a environ cinq ans, sans quasiment parler le français, ni rien connaître de la Suisse. La raison de sa migration? L’amour: son mari ingénieur civil y avait en effet trouvé un travail.

Elle plante donc ses racines à Lausanne, loue un atelier en coworking à Sévelin dans lequel elle passe le plus clair de son temps et poursuit son inlassable exploration de paysages intérieurs, de mondes un brin mélancoliques, peuplés de filles-chats, d’humains-loups, de sirènes, de fées, de sorcières, de fantômes et d’âmes errantes.

Vivant – chichement - des œuvres qu’elle vend, de ses activités d’illustratrice et des cours de dessin qu’elle dispense avec passion, elle voltige avec légèreté et gravité, d’expositions en créations, à l’image des personnages qu’elle décline non seulement en dessins mais aussi, de plus en plus, en sculptures ou en poupées de tissu. De délicats personnages féminins le plus souvent, candides et enfantins brossés avec ce coup de crayon si caractéristique devenu sa marque de fabrique...

«C’est vrai, mes œuvres parlent beaucoup aux enfants, admet-elle dans un français irréprochable. Mais il n’y a pas que ça. Elles parlent aussi aux adultes, pour leur dire: pensez avec le cœur, continuez à rêver, ça aide à vivre. La preuve: moi-même j’aime bien fuir la réalité à travers mes dessins!» Alors, Hélia rêve et vit, entourée de l’esprit de ceux qu’elle a aimés, qui sont partis pour un autre monde et qu’elle sent partout autour d’elle. Elle dessine, crée sans relâche avec son iPad et rêve encore et toujours, les pieds sur terre et la tête dans le ciel de ses personnages.

Exigence

Bien sûr, sa tyrannique exigence vis-à-vis d’elle-même la fatigue parfois: «Mon travail souvent ne me plaît pas, je ne le trouve pas au niveau que j’aimerais» lance-t-elle avec son inimitable manière de mâtiner des propos graves d’un grand sourire, manière de dire: «tout cela n’est pas bien grave, il ne faut pas trop se prendre au sérieux».

Rêver sans se prendre au sérieux. Se prendre tout de même au sérieux pour rêver, encore et toujours... Et espérer un jour, que son art soit reconnu, ses œuvres exposées à New York ou Venise, pour elle un peu, pour tous ceux qui l’ont aidée et cru en elle, beaucoup.

Le tout évidemment en espérant ne pas paraître immodeste, elle qui se dit heureuse de sa vie lausannoise de bohème, faite de frugalité, d’eau fraîche et d’un amour perdu qui a fini par mettre les voiles…