Giuseppe Merrone: «Ecrivez parce que vous avez quelque chose à dire!»

LITTERATURE • Giuseppe Merrone, à la tête de BSN Press, vient de voir une de ses dernières publications couronnée par le Prix du polar romand 2022. L’éditeur lausannois revient sur son métier, entre poids du sacerdoce, fragilité économique et feu de la passion littéraire.

  • CHARLES MORAZ

    CHARLES MORAZ

Lausanne Cités: L’auteur genevois Jean-Jacques Busino, dont vous venez de publier le dernier roman «Le Ciel se couvre», vous surnomme «le Don Corleone de l’édition suisse» à qui on ne peut pas dire non… Cette réputation est-elle avérée?
Giuseppe Merrone:
Evidemment (rires)! Non, tout cela est essentiellement un jeu. C'est bien de laisser courir ce genre de choses parce qu’on finira toujours pas vous donner un surnom. Mais même si je viens de Naples, n’oublions pas que ce n’est qu’un surnom. Busino vient aussi de Naples. On a des références communes, et une belle complicité.

«Le Ciel se couvre» est un roman noir et vert, particulièrement engagé. Comment choisissez-vous les manuscrits?
Cela fait partie des raisons oui. J’aime qu’un roman commente le contexte, l’actualité, l’évolution de la société. Busino, ça fait longtemps que je le connais, mais en tant que lecteur. Il vient couronner notre travail dans le domaine du roman noir et du polar. C’est un honneur pour moi de le publier.

BSN Press occupe les trois marches du podium du Prix du polar romand 2022 avec Alain Bagnoud pour «De la part du vengeur occulte» (lauréat 2022), Marie-Christine Horn pour «Dans l’étang de feu et de soufre» et Catherine Rolland pour «Les Inexistants». On peut dire que vous avez du flair…
Je n’ai pas cette prétention, mais je fais très attention à ce que je publie. Il faut bien comprendre que c’est un travail harassant. J'ai reçu 400 manuscrits cette année, pour en publier 30 seulement. Et puis il faut faire attention car la matière avec laquelle on travaille, ce ne sont pas simplement des textes, ce sont aussi et surtout des êtres humains. Il y a des affinités qui se créent. Il faut aussi savoir être franc. On doit décevoir beaucoup de gens qui nous envoient leurs textes. Mais ce qui compte avant toute chose, ce sont les qualités littéraires.

Ce triple podium permet d’évoquer votre Collection Uppercut, des romans très courts qui se passent dans le milieu sportif. Vous pensez que la littérature est à l’aise partout?
Oui. Le sport est un extraordinaire miroir social. Ce n’est pas qu’une affaire de loisirs, de bien être ou de compétition. Il y a des questions d'argent, de pouvoir, il y a de la politique, par exemple, quand on exclut les athlètes russes. Donc c'est bien une manière de regarder la société puisqu'il ne s'agit pas de livres techniques...

Le dernier de la collection est signé de l’autrice valaisanne Abigail Seran, et s’appelle «Le Big Challenge». Ce sont des romans très courts…
Oui, l’idée est qu’ils puissent se lire le temps d’une rencontre sportive, en une heure et demie ou deux heures. J’aime bien les œuvres intenses et courtes.

Etre éditeur, c'est un métier difficile en 2022?
Ce qui est sûr, c’est que c’est un métier qui prend beaucoup de temps et ne fait pas gagner d’argent! Il faut un autre moteur pour tenir.

Vous êtes farouchement indépendant depuis plus de dix ans. Ça aussi c'est compliqué, non?
Quand vous vendez 500 exemplaires d’un roman sur un an, on ne peut pas se faire d’illusions. Oui, c’est compliqué. Je dois sortir beaucoup de livres pour arriver à tourner. Mais in fine, ce qui compte pour moi, c’est de pouvoir en vivre dignement et de servir au mieux les auteurs.

Certains auteurs suisses ont quand même connu un franc succès et leurs noms sont même quasiment devenus des marques. Finalement, on a le sentiment que l’on n’achète plus le contenu du livre, mais le nom qui est dessus…
Il est clair que dans le monde du livre aussi, on fait de plus en plus de marketing. Il y a une personnalisation, due aussi aux réseaux sociaux, et à la manière dont la littérature est traitée dans la presse: on ne fait plus de critiques d’ouvrages, mais des portraits d’auteurs! Les auteurs deviennent des people! Ça favorise une mise en avant des personnes et non des œuvres en tant que telles…

Vous recevez énormément de manuscrits. Avez-vous un conseil à donner à celles et ceux qui rêvent un jour d’être publiés ?
N’écrivez pas juste pour écrire. Ecrivez parce que vous avez quelque chose à dire. Les livres changent l’histoire, la pensée, le monde, la société, la langue. La seule question à se poser c’est: Comment
puis-je contribuer à ce changement? L’écriture ne doit jamais être fortuite.