Fanny Ardant: «Sauver une histoire d’amour, c’est magnifique»

CINEMA • Ardemment libre et farouchement indépendante, Fanny Ardant est éblouissante dans «Les jeunes amants» en femme septuagénaire qu’un homme de quarante ans va aimer éperdument. L’occasion pour nous de parler avec elle d’amour, du temps qui passe et de liberté.

  • Film après film, comme ici dans «Les jeunes amants», Fanny Ardant incarne une certaine idée du romantisme. EX NIHILO  KARE

    Film après film, comme ici dans «Les jeunes amants», Fanny Ardant incarne une certaine idée du romantisme. EX NIHILO KARE

Lausanne Cités: Dans «Les jeunes amants», votre personnage est ardent comme votre nom. A quel point Shauna, votre personnage, est votre reflet?
Fanny Ardant: Je ne joue que des personnages que j’aime et quand j’ai lu ce scénario, il me semblait que j’aimais beaucoup tout le parcours de cette femme. Je ne sais pas si elle me ressemble, mais ce que j’aime d’elle, son indépendance d’esprit, son courage, son côté solitaire, son côté très lucide sur elle-même, sur les autres, me parle. C’est une affranchie, qui n’a jamais cédé au conformisme. Elle est un peu asociale, comme moi.

Cette histoire d’amour avec trente ans d’écart rappelle la chanson de Serge Reggiani «Il suffirait de presque rien». Shauna a cette mélancolie incrédule, elle doute de la possibilité de cet amour, elle croit parfois ce fossé de l’âge infranchissable, comme si Pierre n’était pas pour elle, inaccessible.
Elle est lucide. Elle est lucide sur son physique, sur son corps, sur son âge. C’est quelqu’un qui n’a jamais essayé de minauder, ça n’est pas une séductrice, elle s’en moque.

Le véritable amour, c’est celui qu’on ne peut pas expliquer?
Un amour c’est d’abord une alchimie entre deux âmes qui se rencontrent. L’alchimie ça ne s’explique pas. Le corps vient bien après. Mais notre société réduit trop souvent les histoires d’amour à des histoires de sexualité.

Dans le film, Pierre a quand même du désir pour cette femme âgée…
C’est parce que je pense que l’attraction des âmes entraîne forcément celle des corps, non? Ils se rencontrent une première fois, et tout vacille de manière imperceptible, souterraine, rien n’est dit. Le reste vient bien plus tard.

Ce personnage est particulièrement tête en l’air, presque enfantin. Dans le fond, il ne cherche pas un peu l’amour maternel?
Nous avons un biais de perception à cause de ce fichu Oedipe. Dès qu’il y a une femme qui est plus âgée, c’est comme si on touchait à quelque chose de biblique. On ne veut pas savoir. On ne veut pas entendre parler de la vie sexuelle de ses parents par exemple! Un vieux monsieur qui tombe amoureux d’une fille, on va parler de son côté «paternel», «protecteur». On essaye d’expliquer un truc que personne ne peut expliquer. Notre monde se croit libre, sans tabou, mais c’est faux. Pierre ne cherche pas «la mère» à travers Shauna. Il est simplement amoureux d’elle!

C’est rare de montrer un couple avec une femme âgée et un homme plus jeune, c’est plus souvent l’inverse…
Au cinéma peut-être, mais dans la littérature, que ce soit Balzac, Stendhal… Il faut relire «Le Lys dans la Vallée», ou «La Chartreuse de Parme».

On accuse beaucoup l’industrie cinématographique de jeunisme, on dit aussi que c’est de plus en plus difficile pour un comédien après 50 ans, encore plus pour une comédienne. Qu’en est-il?
Si on commence à donner des quotas d’âge, de sexes, de nationalité pour écrire des histoires, on est mal parti. Il faut laisser à chacun l’envie de raconter ce qu’il a envie de raconter. Si on vous donne un rôle de femme PDG parce qu’il y a un quota de femmes à respecter dans le casting, ça c’est pas une bonne raison. Le cinéma doit rester libre. Ce n’est en aucun cas une leçon de morale pour faire des gens de bons citoyens.

Vous avez tourné avec les plus grands, Resnais, Truffaut, Costa-Gavras, Ettore Scola, Lelouch... et c’est finalement avec une comédie ultra populaire de Gabriel Aghion, «Pédale Douce» que vous aurez le César de la meilleure actrice en 1996… Il n’y a finalement pas d’un côté le cinéma d’auteur et de l’autre le cinéma populaire?
On était plus habitué à me voir dans des choses assez tragiques, alors tout d’un coup ils ont dû penser que je faisais une performance. Mais si vous regardez bien le personnage d’Edna dans «Pédale Douce», elle est aussi assez désespérée, traînée dans la boue. Elle vit une tragédie, elle va se battre!

C’est vrai qu’on vous voit plus rarement dans des comédies…
Je ne sais pas faire rire. Il faut rendre à César ce qui est à César. Quand les rôles sont drôles, c’est souvent qu’ils sont très bien écrits. Un peu comme Feydeau, dont les textes sont précis comme un mouvement d’horlogerie.

Dans votre précédent film, «La Belle Epoque», de Nicolas Bedos, vous êtes parfois très drôle!
Il y a aussi cette mécanique ultraprécise chez Nicolas Bedos. Moi, je suis une incurable romanesque, et ce que j’aime dans ce film c’est l’idée qu’un homme et une femme soient prêts à tout pour sauver leur amour.

Un peu comme dans «Les jeunes amants» finalement.
Oui. Je pense qu’en dehors de l’amour, il n’y a rien d’intéressant. Tout mettre en œuvre pour sauver une histoire d’amour, c’est magnifique. Ce ne sont ni la famille, ni les enfants, ni le petit confort, ni les vacances chaque été, ni la petite maison bourgeoise et ni le chien qui vont sauver votre amour. C’est même plutôt ça qui va le mettre en péril!

Tout au long de votre carrière, vous semblez être restée fidèle à vous- même. Comment fait-on pour vieillir sans se trahir?
Il faut savoir dire non, lutter pour ne pas se perdre, ne jamais vendre son âme, ni pour de l’argent, ni pour une position sociale, ni pour de la gloire, ni pour quoi que ce soit. C’est une force, ça se travaille, comme un muscle, surtout dans notre société, où tout est à vendre et à acheter, les gens comme les idées.