Il faut une belle force d’âme pour s’établir dans la caillasse de Longyearbyen, à 2h40 de vol d’Oslo, là où le pergélisol spongieux impose à toute construction une assise sur pilotis. La nuit hivernale doit paraître interminable aux 2000 exilés de cette localité étirée le long d’une main street façon Ruée vers l’or. Au musée, un ours naturalisé intrigue les voyageurs impatients de partir à la rencontre du superbe plantigrade. La plupart sont venus jusqu’ici pour vivre cette émotion, et la bourgade constitue le point de départ de leur aventure.
Ils se retrouveront bientôt face à la Baie de la Madeleine, une enfilade de glaciers et sommets qui, quelle que soit la météo, ramène aux récits épiques de ses découvreurs. Ce qui frappe le plus, ce sont les montagnes acérées qui, en 1596, inspirèrent au navigateur néerlandais Willem Barents de baptiser ce site Spitzberg (montagne pointue). Un autre aventurier – Henry Hudson – devait y relever plus tard l’abondance de baleines comme carpes en vivier.
Banquet seigneurial
Bas sur l’horizon, le soleil d’été diffuse en soirée une lumière laiteuse. A moins que ce ne soit l’effet du plafond nuageux, sous lequel les ornithologues ont vu passer quelques sternes et guillemots.
Mais voici qu’on annonce une surprise au large du bateau.
Précipitation vers les coursives. Aileron visible, souffle puissant et photogénique coup de queue final: c’est le show de deux baleines bleues, les plus grosses de l’espèce! Oui, mais l’ours?
D’abord minuscule dans les jumelles, la tache jaunâtre devient visible à l’œil nu. L’approche discrète du bateau – jusqu’à moins de 15 mètres – va révéler progressivement la masse imposante de la star tant attendue: un gros mâle juché sur son bloc de glace à la dérive. Le carnassier a fort à faire pour dépecer le pinnipède accroché à ses griffes acérées.
Maternité arctique
A défaut de gros gibier, l’ours ne rechigne pas à marauder dans le fief des oiseaux de mer. Des volatiles et des œufs en pagaille: un providentiel garde-manger.
Au détroit d’Hinlopen, une falaise longue de plusieurs kilomètres (Alkefjellet) abrite des dizaines de milliers de guillemots. Cet excellent nageur niche dans les rochers, en groupes très compacts, souvent en compagnie de mouettes tridactyles.
La puissance du décor impose l’humilité. Sa virginité, le respect. On ne peut alors faire l’économie d’un examen de conscience, jusqu’à se demander s’il est bien raisonnable de venir ainsi explorer les derniers sanctuaires de la planète.