Silke Grabherr, la mort dans tous ses états...

PORTRAIT - Depuis 2016, Silke Grabherr est la patronne du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML). Sommité dans le monde scientifique, elle vient de publier un livre dans lequel elle raconte son parcours hors normes qui l’a amenée à devenir une personnalité incontournable dans le monde de la médecine légale.

Qui ne s’est jamais laissé aller à suivre avec attention, voire passion parfois, des séries télévisées addictives commes le sont les Experts, Body of Proof, NCIS ou encore Balthazar côté français? Des histoires de meurtres et de leurs résolutions par des médecins légistes, souvent sexy, incroyablement doués et qui sont partout: sur la scène de crime, dans la salle d’autopsie, derrière les éprouvettes du laboratoire ou encore dans la rue à courir derrière les méchants. S’il est vrai que le médecin légiste peut être appelé sur la scène d’une crime pour en noter chaque détail, dans la vraie vie, à chacun son rôle. C’est ce qu’explique avec brio Silke Grabherr dans l’ouvrage «La mort n’est qu’un début... de l’enquête du médecin légiste» qui vient de paraître aux éditions Pierre-Marcel Favre.

De l’Autriche à la Suisse

Silke Grabherr est née il y a 40 ans dans un petit village autrichien, proche de la frontière suisse. Issue d’une famille modeste, élevée par sa mère et sa grand-mère, elle excelle très vite dans un domaine bien particulier, l’équitation, devenant même au passage championne d’Autriche en dressage de chevaux. Au terme de son école obligatoire, elle s’oriente vers le management et l’hôtellerie avant de bifurquer, et de choisir de devenir médecin. Elle s’inscrit donc à la Faculté de médecine d’Innsbruck ou, de stage en stage, parcours normal, elle finit par intégrer une salle d’autopsie. Un choc? Non, plutôt une révélation. «Le déclic est venu d’un stage en médecine légale», confirme-t-elle. «Tout y était, la médecine du corps dans son ensemble, les investigations policières, les interactions avec la justice, l’adrénaline. Alors certes, en salle d’autopsie le patient est mort, mais comprendre l’humain qu’il a été et ce qui lui est arrivé m’a fascinée.»

Elle se lance donc à fond dans cette spécialisation, obtient son doctorat en médecine, décroche un stage à l’Institut de médecine légale de Berne et travaille à l’obtention de sa thèse qui se révèle être un nouveau défi: réussir à faire «parler» les morts. Des années de travail et de ténacité pour mettre au point une technique, l’angiographie post-mortem, là où tout le monde avait échoué jusque-là (lire encadré ci-contre).

Un travail essentiel

Après le départ à la retraite du professeur Patrice Mangin, en 2016, elle devient directrice du Centre universitaire romand de médecine légale qui regroupe le CHUV, à Lausanne, et les HUG, à Genève. Sa méthode est utilisée un peu partout dans les instituts spécialisés et les médecins légistes experts en imagerie médical viennent du monde entier la découvrir et se former au CURML. Son moteur: pouvoir donner à d’autres les moyens de faire ce qui la passionne et ce en quoi elle croit. «La médecine légale est essentielle. Nous la devons aux morts autant qu’aux vivants.»

Transmettre sa passion

Entre ses cours, son travail de légiste et les conférences qu’elle donne dans le monde entier, elle a encore trouvé le temps de publier un ouvrage passionnant, «La mort n’est que le début... de l’enquête du médecin légiste», qui permet de mieux cerner ce qu’est la réalité de la médecine légale, une discipline bien plus complexe qu’un crime résolu en une petite heure sur le petit écran et, surtout, d’en comprendre ses règles. De quoi se souvenir que la mort n’est que le début car, qu’il s’agisse de défunts décédés dans des circonstances paraissant suspectes, mais aussi d’êtres bien vivants, victimes de sévices et impliqués dans des démarches judiciaires nécessitant des expertises médico-légales, les corps qui passent entre les mains des médecins légistes vivent une seconde vie très active pour qu’ils puissent révéler tous leurs secrets avant de reposer enfin en paix.

«La mort n’est que le début... de l’enquête du médecin légiste» Silke Grabherr, Editions Favre

L’angiographie post-mortem

Pour obtenir son doctorat en médecine (Université de Berne, 2004), Silke Grabherr a ainsi proposé de recréer, à partir d’un cavadre, les conditions d’un corps vivant pour visualiser les vaisseaux sanguins. Elle a ainsi inventé l’autopsie virtuelle par angiographie post-mortem. Une idée folle, mais brillante, sur laquelle elle a travaillé durant sept ans et qui a été le sujet de sa thèse. Son principe: relancer la circulation vasculaire pour suivre le trajet emprunté par le sang avant l’arrêt du cœur et y observer les éventuelles failles, conséquences possibles de blessures, de gestes médicaux accidentels ou de pathologies cardiovasculaires fatales. Un procédé qui peut, par exemple, s’avérer capital lors d’une erreur médicale ou d’une agression à l’arme blanche. Cette technique est utilisée à Lausanne depuis 2012, positionnant le CURML comme centre de référence international dans le domaine.