Pascal Gemperli: la médiation comme religion

PORTRAIT • Personnage aux multiples parcours et aux multiples facettes, Suisse allemand et Vaudois, Suisse et musulman, médiateur et politicien, Pascal Gemperli œuvre depuis 20 ans en faveur d’une société plus inclusive.

«Je me sens très Vaudois avec des racines chrétiennes». Cela sonne comme une profession de foi, mais une profession de foi en forme de poupées russes, comme toujours lorsqu’on incarne un parcours sinueux et des identités aussi multiples que cumulatives. Né à Schaffhouse il y a 42 ans, Pascal Gemperli est Suisse-allemand et musulman. Tout en étant en effet très Vaudois, et c’est vrai, encore un peu chrétien: «Dieu est le même», argumente cet ancien enfant de chœur venu à l’islam après une longue période d’agnosticisme et de questionnements.

Avec un oncle prêtre, l’actuel secrétaire général de l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM) vit à dans le canton de Vaud depuis plus de 20 ans, arrivé à Lausanne pour y suivre les cours de l’ancienne École Supérieure de l’Industrie graphique.

Après un apprentissage en électricité, puis une maturité professionnelle, le voilà en effet à la recherche d’une filière qui lui conviendrait mieux, l’occasion de découvrir les plaisirs d’une grande ville suisse et d’y mener «une vie estudiantine de rêve». L’occasion aussi de rencontrer, au sein de la même HES, celle qui deviendra sa femme - une étudiante marocaine exilée en Suisse pour ses études- et lui donnera 4 enfants, dont deux jumelles.

Gestion des conflits

La HES ne signifie pas pour lui la fin des études, puisqu’à la sortie de celles-ci, il décide de suivre à distance un master en «peace studies». Car pour cet enfant issu d’une famille fracturée par le divorce, la gestion consensuelle des conflits fait presque figure d’évangile. D’autant que dans l’intervalle, survient un événement majeur qui marquera son éveil à la conscience politique: la guerre américaine en Irak en 2003, qui le voit, pour la première fois de sa vie, participer à des manifestations.

A l’issue de son master, il postule à un poste en Inde, dans le cadre de son service civil. «L’Inde c’est fini, mais on peut vous proposer quelque chose au... Maroc» s’entend-il répondre. La vie a de ses raccourcis, parfois... Le voilà donc qui passe 18 mois à Casablanca dans le cadre d’un projet de développement durable industriel. «Ma conscience écologique a pris son envol à ce moment-là, raconte celui qui moins de 10 ans plus tard, deviendra conseiller communal Vert dans sa ville de Morges. C’est cette expérience qui m’a appris que l’on peut concilier durablement économie et écologie».

Et cela tombe très bien: car concilier les choses, promouvoir le «gagnant-gagnant», c’est presque une seconde nature pour celui qui toute sa vie durant, aura incarné un trait d’union naturel, entre les différentes régions de Suisse, mais aussi entre les religions, et entre les humains aussi, puisqu’en 2012, il monte sa petite entreprise, fondée sur la médiation interculturelle et familiale, fondant même amiable.ch, une plateforme de divorce et de séparation en ligne.

Une continuité

L’islam, l’élu écologiste vaudois le découvre par hasard, après s’être intéressé à d’autres religions, à la faveur d’une première rencontre avec un ami égyptien, de passage en Suisse. Pour cet enfant de culture catholique, longtemps tenté par l’agnosticisme, et séduit par la «simplicité» de la religion de Mahomet, l’islam est vécu non comme une rupture mais comme une continuité, celle du retour vers une spiritualité perdue, puis restée longtemps en jachère.

Une conversion très intime et personnelle, mais qui aboutira à... un engagement public, à la suite de la votation sur les minarets et des sollicitations de proches, qui l’invitent à intégrer le comité de l’Union vaudoise des associations musulmanes : «c’est ma nature, je n’aime pas les conflits, et j’aime œuvrer à les faire disparaître» lance l’homme qui s’apprête à briguer un siège à la Municipalité de Morges, avant d’ajouter, pensif: «mon engagement dans l’UVAM, ce n’est pas pour les musulmans, mais pour la société suisse dans son ensemble, une société qui ne peut être harmonieuse que si chacun y trouve sa place. Tout mon engagement est dans le souhait de voir mes filles grandir dans une société capable de prendre soin de son environnement mais aussi de toutes ses composantes».

Charaf Abdessemed