«La montagne m’a encouragé à écouter mes tripes…»

SPORT • Dominique Perret, jadis élu «meilleur skieur du XXe siècle» par la presse spécialisée, vient de lancer depuis Lausanne un programme e-learning de sécurité sur les avalanches. Retour sur une trajectoire hors normes.

Nous sommes au début des années 70. Dominique Perret n’a même pas huit ans. Déjà, la passion d’un certain ski hors-piste, qu’on n’appelle pas encore «freeride», l’habite. Enfilé dans sa combinaison, les joues rougies par le froid, le soleil et le plaisir à l’issue d’une journée de glisse de plus à la bien nommée Vue des Alpes, le Neuchâtelois admire avec gourmandise les hautes cimes valaisannes qui lui font de l’œil au loin. Elles le font rêver. Lui sait déjà avec certitude qu’il leur donnera une réalité dans sa vie…

Le freerider professionnel, qui à l’apogée de sa carrière fut élu «meilleur skieur du XXe siècle» par la presse spécialisée, a toujours été porté par cette envie métaphorique d’aller voir la montagne au loin. C’est avec cette même envie qu’en cette fin d’année, le Lausannois d’adoption de 58 ans, vient de lancer WEMountain: le premier e-learning en ligne disponible en français et en anglais sur le thème des avalanches.

La poudreuse plutôt que les piquets

«Je suis né dans la neige à La Chaux-de-Fonds. Cette ville est habitée d’une culture du “tout est possible’’ assez remarquable», rappelle Dominique Perret. Feu son père Louis-Charles fut par exemple à la fois champion suisse de ski et gardien pour le FC La Chaux-de-Fonds en football en LNA et entrepreneur dans l’horlogerie. Dominique Perret se téléporte aux temps des souvenirs et se revoit «gamin des bois attiré par la nature toute proche» et notamment par le célèbre téléski du Chapeau-Râblé, situé à 500 m de chez lui et ouvert en nocturne. «On y allait entre copains l’après-midi après l’école.»

Le jeune Perret tâte de la compétition avec talent mais sans conviction. «Les piquets m’emmerdaient. Je préférais la poudreuse, les sous-bois et les sauts façonnés à la pelle avec les amis…» Au Jura, les pentes sont belles mais pas assez raides pour que de véritables avalanches s’y déclenchent. Cette particularité aide le jeune Perret à voir la montagne «comme une alliée que tu apprivoises, qui te donne confiance et t’encourage à continuer d’écouter tes tripes comme le font tout naturellement les enfants avant que la société ne les formate.»

Ingénieur et skieur

A l’école, le Chaux-de-fonnier clame à qui veut l’entendre qu’il deviendra skieur. Cela le pousse à rester motivé pour étudier, avec l’idée de concevoir un jour des skis, ce qu’il fera d’ailleurs en contribuant à mettre au points des spatules larges qui sont désormais la norme freeride. «J’adorais bricoler, tout gamin, je me souviens avoir taillé des spoilers avec de vieilles boîtes de Caran d’Ache pour rigidifier mes chaussures de ski…» A 24 ans, il sort diplômé du Technicum local et enchaîne avec le record du monde de saut de falaise en se jouant sans dommage, une paire de skis droits aux pieds et la tête dans les étoiles, des vertigineux 36m90 situés à la droite du mythique «Pas de Chavanette» de Champéry (VS). Le Guinness Book officialise la chose.

A la même époque, Perret skie beaucoup de pentes raides du côté de Verbier et surtout de Chamonix. C’est là qu’il rencontre un réalisateur spécialisé se piquant d’immortaliser ses courbes si rares, «négociées à mach 12 et généreusement jalonnées de gros sauts». Lorsque c’est chose faite, Perret décide de continuer à faire des films mais en les produisant lui-même. Il monte sa boîte de production et sillonne les montagnes du monde jusqu’en Alaska, en Russie, en Ouzbékistan ou en Patagonie. Ses images séduisent lors des fameuses «Nuits de la glisse» aujourd’hui disparues. Puis déferle la vague du snowboard qui semble du passé vouloir faire table rase en remplaçant le ski auprès des jeunes générations. Perret pressent que ce ne sera pas le cas, mais il y voit une invitation à évoluer d’urgence. Il parle de skis plus courts et plus larges qui «glissent» et d’abandonner le ski traditionnel sur les carres. Ses sponsors le voient surtout comme un hérétique qui les oblige à se remettre en cause en profondeur.

Libre dans un univers conservateur

«Le monde de la montagne est par nature assez conservateur surtout en Suisse. Or je suis une sorte d’agitateur qui veut vivre comme il skie et cela peut déplaire voire réveiller la jalousie de gens toxiques. Mais je reste libre de mes projets aujourd’hui comme j’étais libre de mes films, de mes photos et de mes expés…» Une des plus fameuses reste sans doute celle réalisée en compagnie de l’himalayiste valaisan Jean Troillet en 1996 sur la face nord de l’Everest. Perret l’a d’ailleurs listé sur son long CV aux côtés, entre autres exploits, de ses 211 km/h atteints «pour l’ivresse de la vitesse» en kilomètre lancé ou de ses 120’000 mètres de dénivelé skiés en seulement 14h30.

Mais le Vaudois d’adoption n’est pas homme à regarder en arrière en ergotant sur son passé glorieux. L’avenir et surtout le présent l’intéressent davantage. Et le présent, c’est donc WEMountain, e-learning mêlant cours théoriques online et exercices pratiques de terrain encadrés par des guides de montagne UIAGM et des professeurs de skis certifiés. Perret raconte s’être mis en tête d’œuvrer dans la prévention en 2014 lorsqu’il a arrêté sa carrière de freeskieur pro. «Inévitablement, j’ai alors fait le bilan et j’ai compté que j’avais perdu une trentaine de copains dans des avalanches en route... Cela m’a permis de réaliser qu’était venu le temps de redonner à ce sport un peu de ce qu’il m’avait apporté, en entamant une continuation en ce sens plutôt qu’une reconversion dans un autre.»

Sa propre mort, «Dom» comme le surnomme ses proches, y a souvent pensé lors de ses escapades poudreuses. Le quinquagénaire dit être en paix avec elle mais précise en guise de conclusion: «ma vie, j’ai envie de la vivre car si on ne meurt qu’une seule fois, on vit en revanche tous les jours. Cette philosophie, je crois que je la tiens de mon enfance à la Tchaux…»