La double vie de Jean-Christophe Geiser

ORGUES • Depuis trente ans, Jean-Christophe Geiser est l’organiste titulaire de la cathédrale de Lausanne. Ce musicien de haut vol est aussi juriste auprès de l’Office fédéral de la Justice, en charge de dossiers spéciaux. Une double vie qu’il mène à cent à l’heure, entre Lausanne et Berne.

  • Photo Verissimo

    Photo Verissimo

Pour bien comprendre Jean-Christophe Geiser, c’est à la cathédrale de Lausanne qu’il faut le rencontrer. A côté des grandes orgues fabriquées par la manufacture américaine Fisk, inaugurées en 2003. Un instrument de 40 tonnes, unique au monde avec ses 7396 tuyaux, ses 6 claviers et pédaliers, et ses 2 consoles. Le plus grand instrument de Suisse, son enfant. Celui qui le fait vibrer à chaque fois que, derrière son pupitre, dominant la nef centrale de la cathédrale, il lui donne vie. «J’ai une fille qui a vingt ans et un garçon qui en a douze. C’est vrai que cet instrument est mon troisième enfant!», dit-il en le contemplant avec beaucoup d’admiration. Joignant le geste à la parole, il s’assied et entame la Toccata et fugue en ré mineur de Jean-Sébastien Bach. Un classique, trois minutes de bonheur. Seize mètres plus bas, les visiteurs de la cathédrale s’arrêtent soudainement, lèvent les yeux dans sa direction et ne bougent plus, fascinés. «Ça marche à chaque coup», note-t-il en souriant.

Récitals autour du monde

Depuis trente ans, il est l’organiste titulaire de la cathédrale. Un musicien talentueux qui a donné des récitals un peu partout à travers le monde, Paris, Washington, Saint-Pétersbourg ou encore Moscou pour ne citer que ces grandes villes. Mais celles et ceux qui se régalent, en l’écoutant distiller avec talent les œuvres des plus grands compositeurs, ne savent pas toujours que, parallèlement à sa vie d’organiste, il est aussi conseiller juridique à l’Office fédéral de la Justice.

Un enfant du Jura bernois

Jean-Christophe Geiser est un enfant du Jura bernois. Il est né à Bienne, en 1964, mais a passé toute son enfance à Cortébert, petite localité lovée au cœur du Vallon de St-Imier. Ses parents y vivent encore. Il y retourne de temps en temps. C’est là pour la première fois que ses mains ont été mises au contact des touches d’un piano, il avait six ans, puis celles d’un orgue, instrument religieux par excellence. «Je ne suis pas issu d’une famille pratiquante» raconte-t-il. «Ce n’est donc pas la religion qui m’a amené à m’intéresser à l’orgue, mais plutôt le hasard de la vie et des rencontres.» Celle avec une professeure de piano d’origine vaudoise qui enseignait dans son village, puis avec une professeure d’orgue qui faisait de même dans un village voisin. «L’orgue a été pour moi une rencontre plus mystérieuse que mystique. J’ai très vite été fasciné par cet instrument qu’on ne voit même pas. En jouer, c’est comme être à la tête d’un orchestre, vous composez vos sons et il vous les rend au centuple». Il part ensuite l’étudier au Conservatoire de Berne tout en suivant, grâce à l’obtention d’une bourse, des stages de perfectionnement à Paris. Il s’inscrit parallèlement à l’Université de la capitale fédérale, en faculté de droit, et finit par passer son brevet d’avocat. C’est en 1991 que sa vie bascule vraiment. Il a alors 27 ans. Il postule simultanément à un poste de juriste à l’Office fédéral de la Justice et en tant qu’organiste titulaire de la cathédrale de Lausanne. «Le poste mis au concours à Berne m’intéressait beaucoup parce qu’il était lié au droit européen, c’était la période du vote sur l’EEE. Quant à celui de la cathédrale, il faisait évidemment partie de ce qui était ma passion.» Il est choisi pour les deux. Depuis, Jean-Christophe Geiser a un pied à Lausanne où il s’est établi, et à Berne, où il suit des dossiers «parfois épineux, mais passionnants» de l’Office fédéral de la Justice. Celui ayant trait à la Question Jurassienne, par exemple, qu’il a suivi de bout en bout, et dont il a été un témoin direct durant sa jeunesse. Compliqué de rester neutre pour l’enfant du Jura bernois qu’il est? « Pas du tout. Avec un père né dans le Jura bernois, qui n’a jamais fait de politique, et une mère née en Ajoie, j’avais déjà en quelque sorte un pied dans chaque canton. Personne, en tous cas ne m’a jamais reproché cela.»

Membre de la délégation suisse du GRECO (Groupe d’Etats contre la corruption), il est aussi évaluateur pour cet organe au Conseil de l’Europe, ce qui l’a amené notamment, en tant qu’expert, à se rendre devant le Congrès américain, en 2016. «C’était assez jouissif d’aller là-bas comme petit juriste suisse et de faire des recommandations aux Américains», note-il en souriant.

Un équilibre de vie

Pour Jean-Christophe Geiser, assumer ces deux fonctions «est devenu un équilibre de vie » qu’il concilie du reste très bien avec sa vie de famille. «J’ai la chance d’avoir une épouse qui est elle-même musicienne, donc qui comprend très bien mes impératifs d’horaires» précise-t-il. «On jongle avec les agendas, on planifie semaine après semaine. Des moments passés ensemble existent aussi. Je suis un homme comblé.» Au moment de clore notre entretien, alors que nous avons quitté la cathédrale pour partager un café dans un restaurant voisin, il me dit: «Je vais rester encore un peu, j’attends une de mes élèves.» C’est vrai, Jean-Christophe Geiser enseigne aussi à la Haute Ecole de Musique de Lausanne, la HEMU. Une manière sans doute pour lui de partager sa passion, de passer le relais aussi et de vivre pleinement cette vie placée sous le signe de l’harmonie et de l’excellence.

Le jour de Pâques, le 17 avril à 17h, Jean-Christophe Geiser donnera un concert pour marquer ses 30 ans de titulariat et lancer le Festival Organissima. www.grandesorgues.ch