Patrick Lachaussée, consul de France en Suisse: «L’Afrique m’a sauvé»

LITTERATURE • Musicien, acteur associatif, visiteur de prison, maire, diplomate, Patrick Lachaussée a puisé dans sa vie l‘inspiration pour publier, chez l’éditeur lausannois Plaisir de Lire, un roman poignant et humaniste. «Bourama» entraîne le lecteur des confins d‘un petit village du Mali à l’univers des hackers. Entretien.

Lausanne Cités: Monsieur le Consul Général de France à Genève, comment vont les relations entre nos deux pays?

Patrick Lachaussée: Elles sont bonnes. Comme partout, il y a parfois des moments de tension. Il y a eu un petit froid juste après le choix par la Suisse de l'avion américain par exemple. Aujourd'hui, on a une reprise de dialogue très forte. Il y a un dialogue constant, permanent, avec les conseils d'Etat, les élus du côté français, du côté suisse, les administrations de l'Etat en France et la plupart des cantons transfrontaliers. Tout ça s'explique d'une part parce que lorsqu'on regarde la communauté française en Suisse, c'est la plus importante communauté expatriée au monde, et d’autre part parce que mon homologue suisse basé à Lyon administre la plus grosse communauté suisse à l'étranger, répartie en région Franche-Comté, Auvergne, Rhône-Alpes.

Votre roman plonge le lecteur des confins d’un petit village du Mali sauvagement décimé par des terroristes au monde sombre des hackers en passant par les coulisses de la cellule de crise du quai d’Orsay. Dit comme cela, on dirait presque du John Le Carré ou du Tom Clancy…

Je ne peux pas me comparer à ces grands auteurs. On verra dans quelques années peut-être… (rires). Même si je les admire, ce n’est pas vers là que je voulais aller. J'ai voulu conjuguer plusieurs choses. La première, c'est ma proximité quasi filiale avec l'Afrique, parce que j'ai des origines africaines, certes ça ne se voit pas comme ça, par mon arrière-grand-père paternel. En même temps, mon métier de diplomate m'a amené pendant plus de quinze ans à gérer des crises et à créer le centre de crise du Quai d'Orsay. Ce sont là deux parties essentielles de ma vie. Au début, je voulais raconter l'histoire de ce village. Et puis, face aux atrocités auxquelles le Mali a été confronté récemment, et encore aujourd'hui, j'ai voulu essayer de développer une histoire un peu plus globale. J’ai mis neuf ans à écrire ce roman.

Il y a une grande musicalité dans votre manière d’écrire…

J'ai eu la chance de beaucoup travailler avec des musiciens africains. Ce travail sur la musicalité est extrêmement important pour moi. Je parle de la kora, je parle des djembés, des tamins, je parle de ces rythmes permanents. Lorsque vous arrivez en Afrique, même si vous allez dans le village le plus reculé qui soit, la musique est là. La première fois que je suis arrivé dans ce village, j'étais en quête d'une identité. Il y avait un secret de famille depuis trois générations. Mon arrière-grand-père était malien. Il est venu en Europe pendant la Première Guerre mondiale. Il a été blessé, il a été soigné par une charmante infirmière française, il en est tombé amoureux, un bébé est né… ça c’est mon histoire de famille. Je peux dire que l’Afrique m’a sauvé alors que j’étais en perdition.

Diplomate et musicien, vous êtes digne d’un personnage de roman! Avez-vous déjà pensé à écrire votre vie?

Oui, mais je suis soumis au devoir de réserve. Tout ce que je raconte dans le livre est imaginé, inventé, même si, en fin connaisseur de tous les rouages, cela relève du plausible.

Vous évoquiez tout à l’heure que vous avez eu la lourde charge d'être responsable de la cellule de crise du Ministère des Affaires Etrangères en France…

La première gestion de crise, c'était en 1991, quand je suis arrivé au Quai d’Orsay. J'étais à l'époque un répondant téléphonique. Quelques années après, comme je suis informaticien à la base, on m'a demandé de développer des applications informatiques autour de l'activité de la cellule de crise. On a créé une première cellule de veille sur la sécurité des Français à l'étranger, avant de devoir gérer énormément de situations, de 1995 à 2005. Il y a eu le 11 septembre, des prises d’otages, la catastrophe du vol Swissair 111, le séisme à Izmir… Nous nous occupions à l'époque uniquement de la sécurité de nos compatriotes. Il y avait une cellule à côté qui s'occupait, elle, d'axes humanitaires. En 2007, Bernard Kouchner est nommé ministre des Affaires étrangères et me demande de l’aider à mettre en place le centre de crise: une équipe qui fonctionne H24 sept jours sur sept et qui est capable à la fois de faire de la veille, de l'anticipation, de la planification opérationnelle, de gérer la sécurité de nos compatriotes, mais également de mettre en place des moyens d'urgence humanitaires, comme ça a été le cas récemment encore en Ukraine, mais aussi en Turquie et en Syrie. Au total, j'ai 15 ans d'expérience dans le domaine.

Qu’aimeriez vous que les lecteurs retiennent de «Bourama»?

C’est un roman avec un fort ancrage anthropologique et historique. J'ai essayé de dépeindre le Mali d’aujourd'hui. On présente souvent l'Afrique comme une espèce de zone de guerre ou de crises permanentes. J'aimerais qu'on ait un regard différent sur ce continent méconnu, sur ce pays et sur ses habitants qui sont pour moi des gens extrêmement courageux et qui ont une sagesse immense à nous offrir, et de nombreux enseignements à partager. C'est aussi une réflexion sur le fait que nous sommes tous un peu des funambules, sur un fil, et qu’on peut soit sombrer dans le mal soit sombrer dans le bien. Rien n’est acquis, rien n’est joué d’avance. Enfin, c’est un appel à la bienveillance, au respect de l'autre.

«Bourama», de Patrick Lachaussée, Ed. Plaisir de Lire, disponible en librairies.