"On m’a fait comprendre que le métier que je visais n’était pas pour moi.”

Après avoir joué une super-héroïne en latex dans le réjouissant « Fumer Fait Tousser » de Quentin Dupieux, Oulaya Amamra rayonne dans la peau d’une des rares cheffes d’orchestre françaises, Zahia Ziouani, dans  «Divertimento», qui raconte le parcours hors-norme de cette femme hors-du-commun. Entretien avec la jeune actrice française, révélée au grand public avec « Divines» qui lui avait valu en 2016 le César du Meilleur Espoir Féminin.

Lausanne Cités : Avant de jouer ce rôle de jeune cheffe d’orchestre dans le film, vous aimiez la musique classique?

Oulaya Amamra : J'ai fait de la danse classique, donc j'avais un contact avec la musique classique, mais c'est comme si je ne m'autorisais pas à l'écouter dans ma vraie vie. J’avais l'impression que c'était réservé à une élite, que c'était pour les cours de danse mais pas pour moi en dehors de cela. J'écoutais plutôt de la pop, du rock, du rap ou du RnB.

Le film est parsemé de tubes … le Boléro de Ravel, La Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák… Comment expliquez vous l’intemporalité de la musique classique?

On les a souvent entendus dans des publicités, dans des films, dans des émissions … ils nous accompagnent sans qu’on s’en rende compte … Moi je m’en suis rendue compte durant le tournage, car on raconte une histoire vraie, et Zahia, la cheffe d’orchestre que j’interprète, est vraiment aller jouer ces répertoires dans des quartiers, dans des centres sociaux. Beaucoup de gens sont énormément touchés par cette musique, beaucoup de jeunes, beaucoup plus que ce que l'on imagine. C'est une musique universelle, généreuse,  qui peut parler à tout le monde, une musique qui engendre beaucoup d'émotions. J'ai été extrêmement surprise, la première fois que je me suis mise à diriger en orchestre, du flot d’émotions que cette musique procure. J’en ai pleuré.

Dans le film, le grand chef Sergiu Celibidache, joué par l’immense Niels Arestrup dit:  «Chef d’orchestre, ce n’est pas un métier de femme…»

C’est une affirmation qui peut choquer, mais c’est toujours la réalité des chiffres. En France, seulement 4 % des chefs d’orchestre sont des femmes. En 1995, Zahia n’avait aucun modèle féminin auquel se raccrocher, elle ne pouvait regarder que des hommes faire ce métier.

En tous les cas, c’est un drôle de métier, quand même, non? Divertimento permet de mieux le comprendre…

C’est vrai que ce n’est pas évident de comprendre cette fonction. On a souvent l’impression que l’orchestre se débrouillerait très bien sans chef, juste avec les partitions. Petite, j’associais le chef d’orchestre à une sorte de clown, sans doute à cause de Louis de Funès. Avec le grand travail de formation et d’observation que j’ai fait sur le film, j’ai fini par comprendre que le chef d’orchestre était en quelque sorte le metteur en scène de la musique qui est jouée. Une pièce de Molière ou de Shakespeare peut être mise en scène de mille façons différentes. Le texte est toujours le même, mais la vision du metteur en scène change. Voilà le rôle du chef d’orchestre : il y a une partition de Dvořák et mille façons de la mettre en scène, de l’interpréter. 

C’est aussi un métier qui intéresse particulièrement le cinéma, d’ailleurs, puisque ces dernière semaines, pas moins de trois films sur le sujet sont sortis : «Maestro(s)», «Divertimento» et «Tar», avec Cate Blanchett, par ailleurs, favori des prochains Oscars… la musique classique est à la mode!

C’est une belle façon de l’amener au grand public ! Il y a même des musiciens de classique sur TikTok maintenant ! La musique classique ne sera jamais démodée, elle est intemporelle…

Le film est inspiré d’une histoire vraie. Quels liens entretenez-vous avec Zahia Ziouani, que vous interprétez à l’écran?

Nous avons passé  deux mois ensemble avant le tournage. On se voyait quasiment tous les jours, pour travailler, mais aussi pour manger ensemble, parler de longues heures. C’est une chance de pouvoir interpréter une telle femme, qui existe vraiment, et qui est encore en vie surtout ! 

Zahia a grandi dans le 93, vous dans le 91. Comme Zahia avec la musique classique, vous avez rencontré le cinéma très jeune, vers 9-10 ans, en tournant pour des projets de l’association 1000 Visages, fondée par votre sœur Houda Benyamina, la réalisatrice de  « Divines », qui vous a révélé au grand public. Avez vous puisé dans votre histoire personnelle pour interpréter ce personnage?

Bien sûr ! Quand j'ai découvert son parcours et son histoire, je me suis complètement identifiée. Comme moi, elle a une soeur qui tient une place très importante dans sa vie, avec qui elle partage sa passion. Moi aussi, on m’a fait comprendre que la vie que je voulais, le métier que je visais, ça n’était pas pour moi. J’ai fait ma scolarité dans un lycée privé catholique où il y avait très peu de gens issus de la diversité. J'ai aussi subi une forme de harcèlement scolaire, simplement parce que j’étais différente. C'est un peu comme si on n'avait pas le droit d'être là, donc il fallait qu'on travaille deux fois plus que les autres pour être légitimes.

On sort du film habité par une grande joie, une belle lumière. Qu’aimeriez vous que le public retienne de ce parcours hors-du-commun que vous nous racontez?

Qu’avec de la volonté et beaucoup de lumière, on peut faire tomber toutes les barrières.

«Divertimento», de Marie-Castille Mention-Schaar. Actuellement au cinéma