Edgar, figaro et figure de l’avenue de France

PORTRAIT • Depuis 25 ans, dans son minuscule salon de l’avenue de France, Edgar Liechti, 78 ans coupe avec joie et bonheur les cheveux des messieurs et des enfants du quartier. Portrait d’un homme affable, curieux de tout et amoureux de la vie.

  • VERISSIMO

    VERISSIMO

Aux alentours de l’avenue de France, à Lausanne, il est connu comme le loup blanc. Parce qu’on va s’y faire couper les cheveux bien sûr, mais aussi parce qu’on veut se faire une petite causette ou lorsqu’on est enfant, lui taxer une de ces sucettes qu’il aime tant distribuer.

A 78 ans, Edgar Liechti est à lui seul une véritable institution dans ce quartier multiculturel et dont la mixité sociale se perd lentement au profit d’une gentrification de bon aloi. Depuis 25 ans, sa plaque trône allègrement sur la façade de l’immeuble du 26, où, dans son minuscule salon de 17 mètres carrés, il a vu défiler bon nombre de Lausannois, connus ou anonymes. Et surtout bien des enfants qui adorent sa bonhomie, sa gentillesse et son éternelle joie de vivre.

La coiffure comme vocation

Car Edgar évidemment est un figaro. Jusqu’au bout des ongles: coiffeur pour enfants et messieurs bien sûr, mais aussi confident, animateur social anonyme à ses heures et observateur avisé et amusé de la vie contemporaine. La coiffure, c’est clairement une vocation pour ce Vaudois né à Mézières et dont le père paysan le vouait à un apprentissage de carreleur, histoire d’être sûr d’avoir quelque chose à mettre dans son assiette en ces temps incertains d’après-guerre. Seulement voilà, le jeune Edgar a une idée en tête: il veut absolument être coiffeur, c’est son métier, sa vocation, alors que tout petit il pouvait passer des heures à admirer les figaros développer leur art virevoltant entre rasoirs et coups de ciseaux. Il finit par obtenir gain de cause et fait son apprentissage juste au-dessus du Comptoir suisse, durant 3 ans et demi, car en cette époque désormais désuète, l’apprentissage comprenait aussi une formation de perruquier. Après quelques années de remplacement à droite et à gauche, il décroche un emploi à Genève comme gérant salarié, et où durant 24 ans, il gagne parfaitement sa vie. «Ça marchait très bien pour moi et à l’époque, c’était plus facile puisqu’il n’y avait pas des salons à chaque coin de rue comme aujourd’hui». Après deux décennies, le patron décide de fermer son salon et voilà Edgar au chômage. Comme toujours avec lui, c’est sans drame ni trémolos, «son joli salaire» lui assurant une indemnité confortable.

A son compte...

Âgé alors d’une cinquantaine d’années, l’homme ne se laisse pas abattre: il suit des cours de gestion d’entreprise, travaille comme coiffeur à domicile, le temps de trouver un local qui puisse lui convenir. Car c’est décidé : il veut se mettre à son compte… «J’ai cherché partout et longtemps un lieu qui puisse me convenir, à Montreux, Villeneuve, Moudon, mais rien ne me plaisait. Un jour je passe devant un petit salon à reprendre à l’avenue de France. Hélas, la patronne l’avait promis à un toiletteur pour chiens!» Mais il en faut plus pour le décourager: il laisse ses coordonnées et avance une offre de reprise plus avantageuse. Trois jours après, le toiletteur n’ayant pas donné signe de vie, le voilà heureux locataire du petit salon qu’il occupe encore aujourd’hui. «Au début raconte-t-il, c’était très difficile, je n’avais quasiment aucun client. Heureusement un de mes potes qui enseignait à l’EPFL m’a fabriqué et imprimé avec ses étudiants 100’000 flyers que j’ai distribués moi-même. Et petit à petit j’ai constitué ma clientèle.»

En 2005, tous calculs faits, il décide de prendre sa retraite anticipée et de toucher son AVS. Mais pas question pour lui d’arrêter de travailler et de raccrocher les ciseaux, encore aujourd’hui d’ailleurs, malgré deux interventions cardiaques lourdes qui l’ont un temps maintenu éloigné de son fauteuil. «J’ai choisi de ne pas fonder de famille et le travail c’est ma vie, sourit-il. J’aime ce que je fais, j’ai toujours adoré discuter avec les gens et donc tant que j’ai la force de continuer je le ferai». Bonne nouvelle donc pour les enfants du quartier qui pour un temps encore, sauront où aller chercher leurs sucettes.