Ouvrir ou ne pas ouvrir: le grand dilemme des restaurateurs

PANDEMIE • Autorisés à ouvrir depuis ce lundi, les restaurateurs sont partagés. Ouvrir est peu rentable et incertain, ne pas ouvrir est suicidaire. Sans avancées sur la question des loyers, la branche aura bien du mal à s’en sortir.

  • Au Cipriano du Flon, les mesures de distanciations vont faire perdre 100 places à l’établissement. VERISSIMO

    Au Cipriano du Flon, les mesures de distanciations vont faire perdre 100 places à l’établissement. VERISSIMO

«On a fait nos calculs. Avec les mesures sanitaires, nous perdons environ 40% des places de notre restaurant soit 100 sur 260, c’est énorme». Patron du célèbre Cipriano au Flon, Ali Imren ne cache pas son inquiétude. «On va quand même ouvrir, explique-t-il, pour voir ce que cela donne, mais rien n’est garanti pour la suite. Et encore mon établissement est assez grand. Pour les surfaces plus petites, cela sera bien plus difficile ».

Comme Ali Imren, tous les restaurateurs lausannois se sont retrouvés face à un vrai choix cornélien. Ouvrir leur est difficile et incertain, et ne pas le faire serait suicidaire. Exsangues car à l’arrêt depuis presque deux mois, les restaurateurs sont en effet autorisés à rouvrir leurs établissements depuis ce lundi. Seulement voilà, l’ouverture des cafés restaurants n’est pas chose aisée, car il faut mettre en place des conditions sanitaires très strictes, afin de pouvoir accueillir la clientèle avec le maximum de sécurité.

«Au vu des contraintes et du peu d’aides reçues, il est évident que la rentabilité des établissements qui vont ouvrir sera très faible, voire inexistante, observe Gilles Meystres président de GastroVaud, l’association faîtière des restaurateurs vaudois. En raison des mesures sanitaires imposées, la diminution de la capacité d’accueil des restaurants va forcément impacter leur chiffre d’affaires et donc leur revenu, alors qu’un grand nombre de charges, comme le loyer par exemple, demeurent fixes». Et d’ajouter: «Malgré l’accord trouvé au niveau vaudois, beaucoup trop de locataires commerciaux se retrouvent aujourd’hui encore sans solution!» L’Association milite donc pour une solution nationale, refusée par les Chambres fédérales la semaine passée.

Geste ponctuel?

Selon une statistique réalisée par GastroVaud auprès de ses membres, 77% des restaurateurs dépendants d’une régie n’avaient obtenu ni réduction, ni abandon de loyer à fin avril. «Dossiers en attente, suspendus ou geste refusé: c’est le lot de la majorité. A croire que les gérances préfèrent les conflits juridiques, des locataires en faillite et des locaux durablement vides, plutôt qu’un geste ponctuel et exceptionnel... Pourtant, un commerçant aidé aujourd’hui, c’est un commerçant de moins à remplacer demain! »

De fait, les récentes décisions du conseiller fédéral Guy Parmelin de maintenir - sous strictes conditions - les indemnités de réductions des horaires de travail, en clair le chômage partiel, risquent de ne pas suffire. «La question de la rentabilité est au cœur de la décision d’ouvrir ou pas, renchérit Susan Sax qui préside quant à elle GastroLausanne et gère le Vidy Lunch Café. En ce qui me concerne par exemple, j’ai décidé de ne pas ouvrir en mai, tout simplement parce qu’une bonne part de ma clientèle est une clientèle d’entreprise qui va conserver ses habitudes de télétravail et que notre établissement ne sert que le midi».

Une inconnue: la clientèle

Car outre les contraintes, demeure en effet une grande inconnue: les clients vont-ils répondre présent ou vont-ils bouder les restaurants par crainte du coronavirus. «Comment vont-ils réagir avec les mesures strictes mises en place, mais aussi des temps d’attente probablement plus longs? s’interroge Susan Sax. Le risque est grand qu’après avoir tenté l’expérience, ils ne reviennent plus».

«Difficile d’anticiper le comportement des gens, renchérit Thierry Wegmuller, patron des Arches qui devra supprimer son très populaire bar en raison des mesures sanitaires: ce qui est sûr c’est qu’on ne va pas gagner un centime en ouvrant. Mais même si on ne se fait aucune illusion, cela vaut la peine d’essayer!»