Les impôts vont-ils prendre l’ascenseur à Lausanne?

FISCALITE • Dans un contexte d’inflation galopante, l’état des finances de la Ville de Lausanne revient sur le devant de la scène. Alors que certains à droite dénoncent déjà un goulag fiscal, la Municipalité promet qu’aucune hausse d’impôts n’est prévue pour compenser les dépenses supplémentaires. Explications.

La Ville de Lausanne n’échappe pas aux conséquences du renchérissement généralisé. Un exemple? Au début du mois de septembre, la Municipalité a décidé d’augmenter les salaires de ses 5500 employés communaux de 2,87%. Une hausse destinée à les protéger des effets de l’inflation et qui représente une dépense mensuelle supplémentaire de l’ordre de six millions de francs. Conséquence directe, à droite de l’échiquier politique, les craintes liées à la dette refont surface: «Lausanne a le plus haut taux de chômage et d’aide sociale des villes suisses, rappelle le conseiller communal UDC Fabrice Moscheni. En continuant de dépenser sans compter, la Municipalité va se prendre le train en pleine face.» Seulement voilà: les chiffres officiels racontent une autre histoire. Depuis 2012, la dette nette par habitant a baissé de 14%, pour atteindre 14’169 francs en 2021. Au total, elle s’élève à près de deux milliards de francs.

Mesure ultime

Cet endettement pourrait cependant se creuser ces prochains mois avec l’accélération de l’inflation. Dès lors, faut-il s’attendre à une hausse d’impôts dans un avenir relativement proche? Nils Soguel, directeur de l’IDHEAP et spécialiste en finances publiques, rappelle qu’une hausse de la dette ne provoque pas toujours une augmentation de la fiscalité: «Une hausse d’impôt est généralement la mesure ultime. Avant, bien d’autres leviers peuvent être activés: rationalisation et simplification des processus, suppression de tâches devenues caduques, mise en place d’une meilleure adéquation entre les taxes prélevées et le coût des prestations devant être autofinancées (eau, épuration, déchets), idem pour les émoluments, toilettage de la politique de subventionnement. Les petits ruisseaux sont toujours préférables à une mesure-choc qui soulève un torrent de contestations. Mais évidemment toute mesure nécessite de déployer passablement d’énergie pour la déployer, en particulier d’énergie politique.»

Tabou politique

Mathilde Maillard, présidente du PLR Lausanne, ne croit pas non plus à une hausse de la fiscalité: «Dans ce contexte inflationniste, la Municipalité n’osera pas augmenter les impôts. Par contre, elle contourne ce tabou politique en agissant sur les taxes. Ce qui permet à la Ville de se renflouer sans changer le point d’impôts.»

Une analyse partagée par Fabrice Moscheni: «L’augmentation fiscale a déjà commencé depuis plusieurs années puisque la taxe sur les déchets a été introduite en 2013, le stationnement coûte plus cher et les taxes communales sur l’électricité sont passées de 3,9 ct/kWh à 5,7 ct/kWh. Sans oublier que lors de la reprise des coûts de l’Association vaudoise d’aide et de soins à domicile (AVASAD) par le Canton, la Ville a conservé l’équivalent d’un point d’impôt. Toutes ces augmentations rapportent plus de 30 millions de francs par année. Or, il n’y a pas plus antisocial que les taxes car elles touchent tous les Lausannois, qu’ils soient riches ou pauvres.»

Contraintes d’une ville-centre

Du côté de la Municipalité, Florence Germond, patronne des finances et de la mobilité, ne s’en cache pas, les comptes de la Ville sont fragiles, mais aucune hausse d’impôts ne se profile à l’horizon: «Le taux a été diminué d’un demi-point en 2019 et la Municipalité n’a pas l’intention de le modifier. Depuis qu’elle est majoritaire à Lausanne, soit depuis 1990, la Ville n’a d’ailleurs jamais augmenté le taux d’imposition.»

Et de rappeler les contraintes inhérentes à toute ville-centre: «La Ville de Lausanne paie plus de 65 millions de francs par an pour les prestations en faveur de ses visiteurs, à savoir principalement les habitants de l’agglomération et du reste du canton qui bénéficient de nos infrastructures notamment culturelles et sportives sans que leurs communes ne les aient financées. Cela correspond à un coût annuel de 481 francs par Lausannois. Sans elles, nous pourrions assumer un taux d’imposition de 10 points de moins.»

Concernant les attaques de la droite lausannoise sur les taxes, la municipale rappelle: «Prenons l’exemple de la taxe au sac: au moment où elle a été instaurée, une réduction de 80 francs par personne (320 francs pour une famille de quatre personnes) sur les factures d’électricité a été introduite. Nous sommes une des seules villes du pays à avoir introduit ce montant de ristourne forfaitaire pour soutenir les ménages.»

L’audace politique doit remplacer la calculatrice, l'éditorial de Fabio Bonavita

C’est quand le navire traverse une tempête que l’on juge les compétences d’un capitaine. Et ce qui nous attend cet automne s’apparente davantage à un typhon qu’à une petite brise. Jugez plutôt: il y a d’abord eu les prix des carburants qui ont flambé, puis ceux de certains aliments (pâtes, céréales, café, pain...). Dès le 1er octobre prochain, ce seront les tarifs du gaz et du chauffage à distance qui augmenteront de 35 et 19% à Lausanne. Quant à ceux de l’électricité, ils grimperont de 35% à partir du 1er janvier 2023.

Pour couronner le tout, un autre coup de massue nous attend ces prochaines semaines avec une hausse des primes maladies qui devrait s’élever à près de 10%. Les ménages les plus précaires s’apprêtent donc à vivre des mois, certainement des années, très difficiles. Dans ce contexte, la Ville de Lausanne a un rôle central à jouer. Elle doit, plus que jamais, faire preuve d’audace politique en soulageant ceux qui n’arriveront tout simplement plus à boucler leur fin de mois. Non pas avec des mesurettes destinées à soulager la conscience de ceux qui gouvernent, mais avec des soutiens massifs permettant de contenir les dégâts de cette inflation.

Cela peut passer par l’allégement ou la suspension de certaines taxes, des aides ciblées ou encore des bons destinés aux plus démunis. Quitte, n’en déplaise à la droite, à creuser un peu plus sa dette. Certes, elle s’élève déjà à près de deux milliards, mais les intérêts de cette dernière ont diminué de 43% en l’espace de dix ans (lire en page 5). La Ville de Lausanne peut donc se permettre d’avoir une stratégie ambitieuse destinée à soutenir le pouvoir d’achat des Lausannois.