Les activistes lausannois du climat vont-ils sombrer dans la violence?

ACTIVISME • A l’image du récent blocage de l’autoroute à Lausanne, les actions des mouvements pro-climat se multiplient. Au risque d’un passage à l’écoterrorisme?

  • En septembre 2020, des activistes du climat ont bloqué la circulation sur le Pont Bessières durant toute une journée. VERISSIMO

    En septembre 2020, des activistes du climat ont bloqué la circulation sur le Pont Bessières durant toute une journée. VERISSIMO

De plus en plus fréquentes, les actions des mouvements écologistes comme Extinction Rebellion ou la Grève du Climat montent progressivement en puissance et commencent à inquiéter. Les Lausannois se souviennent des douze activistes qui ont, en novembre 2018, organisé, dans une ambiance bon enfant d’ailleurs, une partie de tennis dans une succursale du Credit Suisse, mais aussi des actions de blocage de l’autoroute, du Pont Bessières ou de l’Avenue de Rhodanie sans compter l’irruption de militants sur le tarmac de l’aéroport de la Blécherette. Seulement voilà: depuis quelques temps, les actions sont plus médiatiques et même presque comminatoires. En témoigne par exemple, l’ultimatum lancé en juin 2021 au Conseil fédéral, appelé à déclarer l’urgence climatique, qui a mené au blocage de la Ville de Zurich.

Ces mouvements activistes pourraient-ils basculer dans ce que les Américains ont baptisé «écoterrorisme», avec à la clé des actions bien plus violentes qu’une banale partie de tennis? «Le risque de passage à la violence est réel, estime le chercheur français Eric Denécé co-auteur du livre collectif «L’écoterrorisme, de la contestation à la violence», paru aux éditions Tallandier. «A la base, toutes les causes défendues par ces mouvements sont légitimes, mais le problème c’est que très rapidement on passe à des actions illégitimes, puis illégales, puis même terroristes comme on l’a vu aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne».

«Concrétisation immédiate»

Et de craindre: «Je n’écarte donc pas l’idée qu’un pays d’Europe continentale puisse en être le théâtre, car avec l’émergence du citoyen-consommateur, la population veut de plus en plus de rapidité voire d’immédiateté dans l’aboutissement de ses demandes, et les activistes du climat n’y échappent pas: ils considèrent que la nature est en danger et même s’ils sont minoritaires, trouvent insupportable que leurs demandes ne puissent pas être immédiatement concrétisées, d’où un risque de radicalisation de plus en plus grand».

Alors risque de violence ou pas? «C’est vrai, je sens que certaines personnes éprouvent face aux conséquences des changements climatiques une véritable terreur qui pourrait à terme les pousser à des actions plus extrêmes, même si pour l’instant ce n’est pas le cas, observe Alberto Mocchi, président des Verts vaudois. Il y a une complémentarité entre les actions d’un parti politique qui agit dans les parlements et via les initiatives, et les mouvements de la société civile qui agissent par d’autres moyens. Mais évidemment, la violence est notre limite, qu’elle s’exerce contre les biens ou contre les personnes.» Réfléchies, les actions des mouvements activistes du climat le sont pourtant. Leurs groupes sont très structurés, y compris à l’international, leur actions pensées et inspirées par des idéologues influents (chercheurs, journalistes, prêtres etc…) et visent à provoquer des électrochocs au sein des populations.

Sixième extinction de masse

«Je comprends que notre action puisse inquiéter et la colère que nous suscitons est normale et même saine. Car notre but est d’amener les gens à sortir du déni, analyse ainsi un membre, du mouvement Extinction Rebellion Lausanne. Nous sommes dans la sixième extinction de masse de la vie sur Terre et il y a un risque réel que l’humanité s’éteigne. Et c’est plutôt cette extinction qui risque de se faire dans la violence avec des pénuries, des famines et des conflits».

Et d’ajouter: «Notre rôle est donc d’empêcher l’effondrement de la civilisation dans la violence. Il y a certes une montée en amplitude et en durée de nos actions, mais notre mouvement reste structurellement non-violent».

Un remède sûrement pire que le mal, l'éditorial de Charaf Abdessemed

C’est un concept nouveau, né en écho à une inquiétude sourde qui ne cesse de monter: l’éco-anxiété désigne en effet le mal-être psychique qui touche un nombre croissant d’entre nous face à ce qui nous attend, si le scénario catastrophe du réchauffement climatique venait à se vérifier: inondations, perturbations irréversibles des écosystèmes, montée des eaux, canicules à répétitions, sans compter les réfugiés climatiques, famines et autre conflits qui ne manqueraient pas d’advenir.

Et dans ce monde où l’on se rend de plus en plus compte que les technologies n’arriveront vraisemblablement pas à conjurer les catastrophes de demain, amplifiées par les médias qui ont flairé un filon d’audience particulièrement addictif, l’éco-anxiété qui converge avec un autre mal contemporain - la peur de la peur -, se vit de plus en plus comme une injonction à agir. Agir dans l’urgence, taper vite et fort tant la fin du monde semble imminente, agir à la limite de la légalité, pour éveiller les consciences et espérer mettre fin à cette peur primale du lendemain qui nous étreint.

Le procédé n’est pas nouveau, tant dans le passé bien des causes ont justifié des démarches de désobéissance civile qui à défaut d’être légales, étaient frappées du sceau de la légitimité supérieure. Avec un risque réel cette fois-ci, celui de voir ces lanceurs d’alerte climatique basculer un jour dans une violence aveugle et un écoterrorisme nihiliste et fanatique tant ils estimeraient n’avoir plus rien à perdre (lire notre article en page 5). Sans prendre conscience qu’une fois de plus, le remède serait pire que le mal.