«Le métissage ne tuera pas le racisme»

DOCUMENTAIRE • Voici un an, Luc Godonou Dossou sortait «Métis». Ce documentaire a rencontré un joli succès d’estime au point d’être depuis peu disponible sur la plateforme Amazon Prime. Belle occasion d’interroger le réalisateur lausannois et son complice sociologue Akim Oualhaci sur un thème d’actualité qui polarise.

Lausanne Cités: Pourquoi avoir consacré un documentaire au métissage?

Luc Godonou Dossou (LGD): L’idée m’est venue lorsque j’ai constaté qu’au Bénin, on me regardait comme un Français et qu’en France, on me regardait comme un Africain. J’ai aussi été touché par mon neveu métis qui avait honte de son nez épaté.

Akim Oualhaci: On prend le métissage comme une évidence sans prendre la peine de s’interroger dessus. Ce film en donnait l’occasion. On se limite souvent au métissage racial alors que le métissage est incroyablement plus complexe. En un sens, nous sommes tous métis.

En quoi êtes-vous métis?

A.O: En tant que Français, issu d’un Algérien et d’une Kabyle, ayant grandi en banlieue parisienne et souffrant aujourd’hui encore du racisme.

LGD: Je suis né à Paris de parents béninois, j’ai grandi en France et je me suis expatrié en Suisse. Je suis un métis culturel comme tout un chacun.

N’est-il pas exagéré d’affirmer que «nous sommes tous métis»?

LGD: On l’est par l’ethnie, par la langue ou par la culture. Le métissage est un mouvement naturel. Notre monde favorise les voyages et les échanges et donc les métissages.

AO: Le métissage est un état de fait qui ne date pas d’aujourd’hui, même si ce phénomène s’est beaucoup accéléré et amplifié ces dernières décennies.

Vous soulignez que le métissage n’a pas vaincu le racisme. Troublant constat...

LGD: Plus il y a de métissage, plus il y a de racisme même. On le constate au Brésil. Le métissage est encore rejeté de beaucoup. Parfois par racisme. Toujours par peur.

AO: Présenter le métissage comme une arme contre le racisme est illusoire. A mesure que le métissage progresse, les mouvements identitaires, se crispant sur leur culture de peur de la voir diluer, prospèrent.

Une généralisation du métissage n’implique-t-elle pas forcément une standardisation et donc un appauvrissement?

LGD: Je ne crois pas. Les cultures nationales perdureront et les langues et les savoirs ancestraux des peuples se perpétueront. Simplement, les métis s’approprieront ces cultures et les enrichiront.

AO: Mais il pourrait effectivement y avoir un danger à vouloir ajuster tous les peuples sur un même étalon. Certains avancent que le mondialisme ultralibéral promeut le métissage pour gommer les différences nationales et réduire chaque humain à un consommateur…

AO: Le métissage est parfois instrumentalisé en ce sens par des élites. Mais il ne consiste pourtant pas du tout à aller vers un monde uniformisé dans lequel tout le monde mangerait des «Big Mac» et regarderait des films hollywoodiens.

LGD: Beaucoup de métis, moi le premier, rejettent cette forme de mondialisation!

En occident, le métissage est souvent présenté comme inéluctable. D’un autre côté, Israël ou le Japon préservent le caractère ethnique de leur population, et peu les critiquent là-dessus. Pourquoi cette différence de traitement?

LGD: Chaque pays doit assumer son histoire. Il est juste que les ex-puissances coloniales génèrent plus de métissage que les autres…

AO: Pour penser le métissage et l’injonction à accepter les flux migratoires, il faut se replacer dans le contexte dans lequel les personnes migrent. Le thème du métissage n’est pas isolable. Ses imbrications avec l’économie ou la géopolitique sont importantes.