«A Lausanne, le racisme est partout, c’est évident!»

POLEMIQUE • Le conseiller communal socialiste Yusuf Kulmiye dénonce un «profilage racial» pratiqué par la police et une «culture du déni» qui minimise la discrimination subie par les personnes d’ascendance africaine. Il vient d’interpeller la Municipalité sur ces questions.

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Lors d’une visite d’une dizaine de jours en Suisse et notamment à Lausanne, des experts mandatés par l’ONU ont rencontré des personnes d’ascendance africaine, mais aussi des représentants des autorités fédérales et cantonales ainsi que des forces de l’ordre. Au terme de ces entretiens, ils sont arrivés à la conclusion qu’il existait un racisme systémique dans notre pays. Parmi les autres reproches, le groupe de travail a déploré le manque de reconnaissance du lien de la Suisse avec l’esclavage. Notamment celui des banques. Des conclusions préliminaires qui font réagir Yusuf Kulmiye, conseiller communal et secrétaire général du parti socialiste lausannois.

Lausanne Cités: Selon les experts mandatés par l’ONU, il existe un racisme systémique dans notre pays, vous partagez ce constat?
Yusuf Kulmiye: Oui, je suis totalement d’accord. Dans notre pays, le racisme n’est pas institutionnel, mais systémique, c’est évident. Cela signifie qu’il s’immisce partout. Une personne d’ascendance africaine doit faire face à toute une série de difficultés au quotidien, notamment pour trouver un logement ou un emploi.

Ce racisme que vous dénoncez, vous en avez été victime à Lausanne?
Oui, même si j’ai été plutôt épargné quand je me compare à certains de mes amis. Mais je vais vous livrer une anecdote, lorsque le réalisateur Fernand Melgar avait dénoncé le deal de rue dans le quartier du Maupas en 2018, j’ai vécu quelques épisodes très marquants. Chaque soir, quand je me baladais dans le coin, j’étais systématiquement arrêté par des policiers qui me demandaient mes papiers. Juste parce que j’étais noir, cela s’appelle du profilage racial.

Quel est le sentiment qui domine dans ces moments-là?
Difficile à dire, c’est humiliant évidemment, mais cela pousse aussi à vouloir être encore plus suisse que les Suisses. Je répondais aux policiers dans un français parfait, je soignais mes mots pour leur montrer que je n’avais rien à voir avec un dealer.

Les militants antiracistes ciblent souvent les forces de l’ordre dans leur lutte, la police lausannoise est-elle raciste?
Je tiens d’abord à préciser que nous vivons dans un Etat de droit. Donc je ne dis pas que la police est raciste au sens strict du terme, par contre il y a eu des situations qui ont amené à certaines tragédies.

Qu’entendez-vous par là?
Qu’il est important de questionner les pratiques de notre police, c’est même essentiel. Dans la société lausannoise, le racisme est caché sous le tapis. On doit donc profiter de notre liberté d’expression pour mettre le débat sur la table et aborder toutes les questions. C’est vital pour désamorcer certaines tensions.

Selon les experts mandatés par l’ONU, Roger «Nzoy» Wilhelm, qui a été abattu le 30 août dernier par la police sur le quai de la gare à Morges, serait encore en vie s’il était blanc. Le problème, ce n’est pas plutôt qu’il s’est rué sur les policiers armés d’un couteau de 26 centimètres?
C’est une question très complexe et je ne souhaite pas polémiquer. On ne saura jamais si les choses se seraient déroulées différemment s’il était blanc. Nos forces de l’ordre font ce qu’elles peuvent, l’usage du taser aurait peut-être été plus judicieux, même si réécrire l’histoire ne sert à rien.

Dans les déclarations préliminaires du groupe de travail, on peut aussi lire que «la richesse moderne de la Suisse est directement liée à l’héritage de l’esclavage», vous le pensez également?
Oui, notre pays a un passé et un héritage qu’il a de la peine à accepter. Sans avoir été une nation colonisatrice, les banques ont hébergé les fonds de ceux qui se sont enrichis grâce à l’esclavage.

Lors du dernier Conseil communal, vous avez adressé une question orale à la Municipalité, dans quel but?
Tout d’abord pour savoir si le municipal Pierre-Antoine Hildbrand, en charge de la sécurité, a pris connaissance des déclarations des experts mandatés par l’ONU. Et ensuite pour déterminer s’il existe une vraie volonté politique de la part de son département de prendre en compte ce que ce groupe de travail a dit.

C’est-à-dire?
Je souhaite que la formation continue des policiers soit améliorée. Notamment avec des cours sur le racisme ordinaire ou encore le profilage racial. En incluant les associations afrodescendantes comme à «Qui le tour?» qui en a déjà fait l’expérience avec la police fribourgeoise.