«L’argent est le vrai moteur de Tariq Ramadan»

Dans une enquête très fouillée, le journaliste Ian Hamel revient sur le parcours de Tariq Ramadan.
Amour de l’argent, séduction, égo surdimensionné, tartufferies, l’auteur dévoile des aspects méconnus de la personnalité du célèbre prédicateur.
Avec une interrogation: comment un homme aussi peu orthodoxe a-t-il pu prospérer aussi longtemps?

  • Tariq Ramadan. En médaillon, Ian Hamel, l’auteur d’une enquête au vitriol.

    Tariq Ramadan. En médaillon, Ian Hamel, l’auteur d’une enquête au vitriol.

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«C’est incroyable que tant de gens intelligents aient pu se tromper à ce point sur son compte»

Théologien, islamologue, professeur, intellectuel, prédicateur, quel est le mot qui pour vous résume Tariq Ramadan?
Pour moi le mot le plus juste est imposteur, d’où le titre de mon livre «Histoire d’une imposture». C’est celui qui résume le mieux la réalité du personnage. Qui n’est ni universitaire, ni chercheur, ni religieux, ni un bon mari, ni même un bon arabisant…

Pourtant pour beaucoup, Tariq Ramadan est un intellectuel, un islamologue…
Pas du tout. Je suis frappé par le fait qu’il passe son temps à envoyer des sms, mais ne travaille pas, ne va jamais dans les bibliothèques. Il drague et fait des conférences, mais ce n’est pas un intellectuel…

Il est pourtant l’auteur de nombreux ouvrages…
Ses livres n’ont aucune plus-value, ils sont vides. Le mieux vendu est celui qu’il a consacré à la vie du Prophète. Ouvrez-le, il ne contient aucune source, aucune note de bas de page référencée.

L’homme s’est souvent présenté comme un théologien musulman…
Il a prospéré dans le terreau d’inculture des musulmans d’Europe qui ont vu en lui un chef, un intellectuel, un savant de l’islam, mais tous les témoignages que j’ai recueillis vont dans le même sens. Beaucoup, surtout des femmes, le consultaient pour des questions religieuses. Ses réponses tournaient vite autour du sexe. En outre, tous ceux qui l’ont côtoyé de près l’affirment: il ne parle jamais de religion, ne mange pas halal, ne fait jamais la prière sauf quand il est en public.

Une des révélations de votre enquête, c’est à quel point il aime l’argent…
Pour moi, le vrai moteur de sa vie c’est l’argent et un des drames de sa vie c’est son père qui est mort dans la misère. Il a une maison à Londres, un appartement à Montmartre, un en Seine Saint-Denis histoire de faire plus proche du peuple. Quand il voyage, il dort dans des 5 étoiles, perçoit des salaires élevés. D’ailleurs, il s’est toujours fait payer pour ses conférences.

Certains, en particulier dans les milieux de gauche, ont vu en lui un vrai adepte de l’intégration des musulmans…
C’est faux. D’un côté, il prône le vivre-ensemble, mais lorsqu’on analyse son discours on comprend qu’il dit exactement l’inverse, qu’en substance son message est: «au contraire ne vous intégrez pas»!

Ce livre est le deuxième que vous consacrez à Tariq Ramadan. Que vous a-t-il appris de plus ?
Je savais que le personnage n’était pas très sympathique, mais je n’imaginais pas que l’imposture puisse atteindre de tels sommets. C’est incroyable que tant de gens intelligents et connus aient pu se tromper à ce point sur son compte. J’observe d’ailleurs qu’aujourd’hui, ils tardent à faire leur meaculpa.

Alain Gresh, Edwy Plenel, Jean Ziegler, Jacques Neirynk, Edgar Morin… bien des personnalités d’envergure issues du monde intellectuel ou des milieux catholiques lui ont en effet apporté leur soutien contre vents et marées… Comment expliquez-vous cela?
Ce sont pour reprendre l’expression de Lénine, les «idiots utiles» sur lesquels il a bâti son ascension. Dans ces milieux-là, il faut être du côté des opprimés. Et pour eux l’opprimé c’est le musulman. D’ailleurs Tariq Ramadan se compare volontiers à Mandela, Jean Moulin, et même maintenant à Malcolm X… En réalité, sa force c’est d’aller voir des gens qui ne lui ressemblent pas, qui si possible ont un carnet d’adresses et de jeter des ponts avec eux. Il est doué pour ça et cela lui a longtemps réussi.

Tariq Ramadan a surtout prospéré en France et très peu en Suisse. Pourquoi?
En Suisse, sa méthode a moins bien fonctionné. Probablement en raison de la proximité, qui fait que musulmans se connaissent entre eux. Et puis contrairement à la France, la culture suisse n’est pas une culture de frime, de show permanent.

Comment expliquez-vous que cette imposture ait pu durer si longtemps…
C’est une bonne question, d’autant que tout a été révélé depuis des années, par exemple avec le livre de Caroline Fourest. A mon sens, il y a une part qui relève de la négligence voire de la complaisance de la presse qui n’a pas fait son travail. Pour elle, il est plus facile d’avoir recours à «l’Arabe de service» qui est un très bon client, doté d’un grand charisme, qui s’exprime très bien et qui sait si bien tout expliquer… C’est vrai qu’il est intelligent, que c’est un excellent orateur et qui ne manque pas de culot en plus. Par exemple, il n’hésite pas à remercier dans ses livres des gens qui lui sont hostiles. L’ancien conseiller administratif genevois Patrice Mugny en sait quelque chose...

Dans votre livre, vous pointez du doigt les intimidations que Tariq Ramadan et ses proches ont souvent exercées sur ceux qui les dénonçaient…
Oui, ils ont souvent eu recours à des intimidations: harcèlement sur les réseaux sociaux, et je sais de quoi je parle, menaces de procès qu’ils ne font presque jamais, menaces contre les journalistes. Un jour alors qu’un article du Monde lui a déplu, Tariq Ramadan n’a pas hésité à appeler directement les actionnaires du journal. Mais après tout leur mère, la fille d’Hassan El Banna (NDLR, le fondateur du mouvement des Frères musulmans) ne leur a-t-elle pas appris dès leur plus jeune âge qu’ils étaient d’essence divine?

Vous-même étiez informé de ses frasques sexuelles. Pourquoi n’avez-vous rien dit ?
La vie privée c’est la vie privée. J’ai eu en ma possession, c’est vrai, de nombreux témoignages. Mais ceux-ci souhaitant à l’époque demeurer anonymes, il était légalement impossible d’écrire quoi que ce soit…

Les autorités avaient eu vent de ses relations intimes avec certaines de ses élèves… Comment expliquez-vous leur mansuétude?
Difficile de savoir. Peut-être parce que c’était une autre époque et que l’on tolérait plus des relations entre enseignants et élèves…

Aujourd’hui le roi est nu et l’imposteur est démasqué…
C’est vrai, plus grand monde ne le soutient, y compris chez les musulmans…

Que pensez-vous de sa ligne de défense actuelle ?
En substance son propos est de dire: cela ne regarde que moi et Dieu, ce qui est intenable et même ridicule quand on a prétendu que les coupables de fornication devaient être punis. Il n’hésite même pas à dire qu’il a été innocenté alors que la justice n’a même pas terminé son travail.

«Tariq Ramadan - Histoire d’une imposture», Ian Hamel, éditions Flammarion.

Un livre et de multiples impostures

«Tariq Ramadan - Histoire d’une imposture» aurait plutôt dû s’intituler «Histoire de multiples impostures». Cette enquête fouillée et particulièrement documentée signée du journaliste Ian Hamel, correspondant du magazine Le Point en Suisse, révèle en effet les facettes cachées d’un personnage complexe. Il y a bien sûr, désormais connue du grand public, l’imposture morale du prédicateur qui fustige l’adultère en oubliant ses propres frasques. Il y a aussi l’imposture du pseudo intellectuel qui usurpe des titres qu’il n’a jamais eus, revendique la maîtrise d’une langue arabe qu’il ne domine qu’imparfaitement, la rigueur d’une religion dont il applique bien peu les préceptes. L’enquête révèle aussi l’amour de Tariq Ramadan pour l’argent et pour sa propre personne, bien loin de tous les principes qu’il professait en public. En filigrane aussi émerge enfin l’imposture de milieux médiatiques et intellectuels qui par paresse ou aveuglement idéologique se sont réfugiés dans un déni qui pour nombre d’entre eux perdure encore aujourd’hui.