La science au secours de la fresque de Gino Severini

VALENTIN • L’été dernier, un important chantier d’étude s’est déroulé entre les murs de la Basilique Notre-Dame, au Valentin avec pour objectif d’observer sous toutes ses coutures, la monumentale œuvre peinte par Gino Severini dans l’abside de l’église. Le constat est sans appel: elle doit être urgemment rafraîchie.

  • JACOPO RUSSO ©SUPSI

    JACOPO RUSSO ©SUPSI

Gino Severini. Ce peintre italien né en 1883 et mort en 1966, a souvent œuvré en Suisse. Très bon dessinateur, il a combiné dans son œuvre la science et l’art, la rigueur et l’imagination, pour atteindre le plus complet bonheur d’expression lorsqu’il lance, entre 1910 et 1915, les valeurs dynamiques du «futurisme», un mouvement tout à la fois littéraire et artistique qui rejette la tradition esthétique et exalte le monde moderne, en particulier la civilisation urbaine, les machines et la vitesse. Mais alors que les futuristes peignent généralement des voitures ou des machines, symboles de cette société nouvelle, Severini préfère déjà la figure humaine comme source du mouvement énergétique et manifeste un vif intérêt pour l’art sacré.

Une fresque mariale

En 1934, il réalise une gigantesque fresque mariale, aux accents byzantins et colorés, de 200 mètres carrés à l’intérieur de la Basilique Notre-Dame du Valentin. Sur fond d’or, la Vierge à l’Enfant relie Rome, la catholique, à Lausanne, la protestante, mais aussi la tradition à la modernité. A droite de la peinture murale, on aperçoit la Basilique St-Pierre de Rome, à gauche la Cathédrale vaudoise ainsi que la tour Bel-Air, construite en 1931. Tout à la fois cubiste et d’aspect byzantin, profane et sacrée, cette peinture murale est, selon les experts, probablement l’œuvre à caractère religieux la plus aboutie de l’artiste italien.

Seulement voilà, les années ont passé par là. Afin d’évaluer l’état de conservation de cette peinture murale, la Fondation d’Olcah, en charge de la recherche de fonds pour la rénovation intérieure de l’édifice, a mandaté l’expertise des chercheurs de la Scuola Universitaria Professionale della Svizzera Italiana (SUPSI). Par un heureux concours de circonstances, cette équipe était présente en Suisse romande dans le cadre d’une recherche du Fonds national suisse de la recherche scientifique portant sur les techniques et procédés utilisés par Severini dans les cinq églises qu’il a décorées ailleurs en Suisse romande.

Une restauration urgente

Cette étude complémentaire, dans laquelle l’imagerie informatique a joué un grand rôle, comprenait la description des phénomènes de dégradation sur l’œuvre et leur distribution. Les investigations scientifiques ont été menées sans interventions directes sur l’œuvre. Les analyses ont ainsi permis d’identifier les matériaux ajoutés lors de la première restauration de la peinture, en 1976, dont une substance identifiée comme du polyvinylacétate, qui avait été probablement utilisé comme agent de consolidation et fixateur.

Ce matériau n’a cependant pas empê-ché le dépôt d’une couche noire, provenant de la fumée des cierges. Ceci d’autant plus que ce fixateur rend la surface de la peinture collante, facilitant ainsi l’accumulation des dépôts. Verdict: la peinture continue à se détacher, malgré la restauration de 1976. Cela sans compter qu’une fissure, semblant encore active, traverse l’abside sur toute sa hauteur et déchire l’œuvre en deux. Seul moyen de la sauver: entreprendre rapidement la restauration. Il reste cependant encore plus d’un million de francs à récolter d’ici la fin de l’année pour atteindre la cible permettant le lancement du chantier de rénovation de l’intérieur de la Basilique. En août dernier, le conseil de paroisse a pris la décision de commencer quoi qu’il en soit les travaux en février 2021, en les redimensionnant si nécessaire. Découpés en quatre étapes, ils permettront de suivre la progression de la restauration intérieure, dont celle de la fresque, et de récolter de nouveaux fonds. Philippe Kottelat