La rue Louis-Agassiz pourrait être bientôt débaptisée

RACISME • Il y a un an, la Municipalité tranchait: la rue du raciste Louis Agassiz garderait son nom, moyennant la mise en place d’une plaque de contextualisation. Aujourd’hui, certains demandent que la logique soit inversée, soit rebaptiser la rue, tout en ajoutant une plaque mentionnant le parcours de Louis Agassiz.

  • Le tout début de l’avenue avec sa plaque de dénomination. CA

    Le tout début de l’avenue avec sa plaque de dénomination. CA

A Lausanne, ville de gauche s’il en est, on marche depuis quelques semaines massivement contre le racisme, alors que l’affaire Floyd aux USA a servi de révélateur aux discriminations subies par les personnes noires en Suisse. Et pourtant, au cœur de la ville, une rue porte encore un nom très controversé, Louis Agassiz, alors qu’un peu partout dans le monde, enfle le débat sur le maintien ou non de statues ou de rues attribuées à des personnages controversés. Louis Agassiz c’est ce naturaliste et médecin émérite né à Môtiers en 1807 et décédé aux Etats-Unis qui défendait des idées particulièrement nauséabondes, racistes et axées sur «l’infériorité de la race noire».

Une interpellation

L’affaire n’est pas nouvelle, mais le consensus qui avait été trouvé risque bien de voler en éclats, suite aux développements de l’actualité récente. Le 2 octobre dernier, les conseillers communaux Vincent Brayer et Alice Genoud déposaient une interpellation intitulée «Ces noms de rue hérités du passé à requestionner». Six mois plus tard, la Municipalité faisait part de sa décision, en faveur d’un compromis: à l’inverse de Neuchâtel qui a débaptisé l’artère éponyme, l’avenue Louis-Agassiz de Lausanne conserverait sa dénomination actuelle, mais la Ville souhaitait apposer, à côté de la plaque, un panneau complémentaire explicatif. Une manière de garder une trace du passé tout en s’en démarquant et en la recontextualisant. Une année plus tard, l’avenue Louis-Agassiz porte toujours son nom, dans l’attente d’une décision du Conseil communal. Seulement voilà: la solution trouvée à l’époque semble faire de moins en moins consensus.

Municipalité ouverte

«A l’époque, j’étais très satisfait par la réponse de la Municipalité, note le conseiller communal Vincent Brayer. Aujourd’hui je m’interroge et me demande s’il ne faudrait pas poser la question de manière plus large. Peut-être faudrait-il maintenir le principe de la plaque commémortative, tout en changeant le nom de la rue». En clair il s’agirait d’inverser la logique du compromis trouvé il y a une année, en débaptisant la rue, tout en faisant mention à Louis-Agassiz dans la plaque commémorative. «La Municipalité est ouverte à cette proposition, réagit la municipale Florence Germond. Mais nous souhaitons que le Conseil communal puisse débattre avant de se positionner définitivement».

Dans l’intervalle, Vincent Brayer ne souhaite pas rester inactif. «Je suis en train de contacter les associations de personnes de couleur pour obtenir leur point de vue sur la question. C’est important car je sais qu’aux USA par exemple, certains dans ces milieux s’opposent à ce que les noms soient supprimés car cela reviendrait à effacer des témoignages d’un passé dont le souvenir doit demeurer».

Expliquer plutôt que détruire, l'éditorial de Philippe Kottelat

Ça a commencé en Angleterre, le 7 juin dernier. A Bristol, des manifestants antiracistes déboulonnaient la statue du marchand d’esclaves Edward Colston avant de la jeter dans un canal. Le début d’une longue série. Celle du roi des Belges Léopold II subissait le même sort quelques jours plus tard à Anvers. Suivaient, entre autres, au Cap, celle de Cecil Rhodes, le colonisateur de l’Afrique du Sud. Mais aussi celle de Christophe Colomb, un peu partout! La polémique a même atteint la Suisse avec le cas David de Pury à Neuchâtel... et Lausanne, avec la polémique sur la rue Agassiz qui resurgit (lire en page 5).

Un peu partout dans le monde, l’indignation née de la mort de George Floyd a soulevé une vague d’outrages contre les symboles statufiés du passé esclavagiste et colonial. En relançant le débat. Un vieux débat. Le déboulonnage de symboles considérés comme outrageants est une constante historique.

Mais est-ce vraiment efficace? Sans doute pas! D’abord parce que s’en prendre à une statue, c’est lui donner une existence qu’elle n’avait certainement pas pour la plupart des gens. Ensuite parce que l’éliminer en dehors de toute décision officielle, c’est bêtement procéder à un effacement historique. A défaut de la démarche intelligente qui consisterait à la récupérer et à l’exposer dans un musée... avec les explications nécessaires.

L’emportement idéologique, d’où qu’il vienne et quelqu’en soit la motivation, est toujours mauvais conseiller. Expliquer que nos valeurs ont évolué au cours des siècles et que des actes qui paraissaient normaux, et même louables avant, sont désormais condamnables, c’est toujours mieux. Car expliquer, ce n’est ni effacer ni détruire. C’est garder la mémoire et créer l’avenir!