«Je suis convaincu que mon abuseur a fait d’autres victimes»

ABUS SEXUELS • Un Lausannois, victime d’un prêtre pédophile au Collège Champittet voici 40 ans, sort du silence. Il nous confie le but de sa démarche.

  • Il y a quelques jours, François* est revenu devant l’internat du Collège Champittet plus de 40 ans après ses agressions par le Père Narcisse*. PYTHON

    Il y a quelques jours, François* est revenu devant l’internat du Collège Champittet plus de 40 ans après ses agressions par le Père Narcisse*. PYTHON

«Je vous rends votre sac à dos. Il est lourd. Il pue et maintenant, vous allez récupérer votre merde et la porter pour le reste de vos jours!» Voilà ce que François* a lâché en quittant son agresseur, désormais octogénaire, à l’issue d’une confrontation organisée à l’Evêché de Sion en avril. La semaine passée, ce père de famille lausannois révélait dans L’Illustré avoir été victime d’abus sexuels répétés de la part de ce Chanoine du Grand-Saint-Bernard. Les faits, reconnus par l’intéressé et sa hiérarchie, se sont déroulés au tournant des années 80 à l’internat du Collège Champittet de Pully. Le quinquagénaire nous a longuement reçus à son domicile lausannois pour nous confier comment il a trouvé la force de briser le silence et ce que cela a changé en lui.

Lausanne Cités: Comment avez-vous trouvé la force de parler de votre histoire?
François*: Ce fut un long cheminement. Certains le font à 70 ans. D’autres emportent leur douloureux secret dans la tombe. Grâce à mes proches et à la psychothérapeute qui m’accompagne en thérapie intensive depuis deux ans, j’ai pu franchir ce pas. J’étais comme bloqué au sommet d’un plongeoir de dix mètres. La vie m’a finalement poussé et une fois en bas, j’ai découvert la joie de la libération, même si les faits me concernant sont prescrits par la justice car antérieurs à la nouvelle législation. Un des déclencheurs a été d’apprendre en regardant la télévision que Jean-Marie Lovey était évêque de Sion. A Champittet, il était un des très rares religieux à être bienveillants et à l’écoute. J’ai décidé de lui écrire. Il m’a fallu trois ans pour oser le faire. Il m’a entendu et cru avec empathie et humanité et même des larmes.

Pas de quoi vous donner envie de revenir vers la foi cependant?
Non, même si je suis issu d’une famille italienne très catholique. J’ai fait une croix sur la religion. Mes enfants ont été coupés de cet héritage familial et spirituel par la faute de ce chanoine indigne de sa fonction. J’aimerais au moins qu’il soit exclu de sa confrérie et réduit à l’état laïc. Un procès canonique se tiendra prochainement sur son cas. J’y témoignerai probablement, mais sans illusions…

Que s’est-il donc passé dans votre chambre du collège Champittet?
J’avais 12 ans. Une nuit, je me suis réveillé et le Père Narcisse* jouait avec mon sexe avec sa bouche et ses mains. Il était haut placé à l’école, alors gérée par les Chanoines du Grand-Saint-Bernard, et j’étais sous le choc incapable de réagir. Mon frère et notre camarade de chambrée dormaient comme des pierres. Finalement, le prêtre m’a dit d’aller aux toilettes comme si de rien n’était. Il a récidivé à trois ou quatre reprises. A chaque fois, j’étais comme paralysé à tel point que je me demande avec le recul s’il ne m’avait pas drogué. Par la suite, mes notes se sont effondrées et j’ai été renvoyé de l’école sans que ma détresse d’enfant abusé ne soit jamais identifiée et écoutée. Et le souffle d’excitation dégoutant du Père Narcisse sur mon corps et sa robe de chambre à motif japonais ont longtemps hanté mes nuits…

En quoi ce drame a marqué votre vie d’adulte?
Je me suis blindé. Je suis devenu un chien de garde ne dormant toujours que d’une oreille et mordant avant de l’être. Mes relations humaines et amoureuses se sont trouvées appauvries par cette détresse masquée en colère et mon énergie de vie plombée par une certaine violence contenue. J’ai gardé de tout ça un rejet viscéral de l’injustice mais aussi une forte personnalité.

Comment s’est passée la confrontation avec votre agresseur?
Bien, car j’étais prêt et escorté avec professionnalisme et cœur par des membres de la Commission CECAR, mise sur pied pour les victimes d’abus sexuels dans l’Eglise. Je les en remercie. J’avais face à moi ce même petit homme maigre et physiquement assez insignifiant mais cette fois, c’est lui qui avait peur. Il a avoué les faits mais réfutait être pédophile. Il a même insidieusement tenté d’inverser les rôles en faisant peser sur moi la culpabilité d’un pardon à donner. J’ai lu qu’une autre victime avait réussi à pardonner à son agresseur (ndlr: il s’agit du Fribourgeois Daniel Pittet dont la biographie a été préfacée par le Pape François). Moi, je souhaite au Père Narcisse d’aller brûler en enfer et à ses autres victimes potentielles de trouver la force de parler, je suis convaincu qu’il y en a!

*prénoms fictifs

La direction de Champittet «attristée»

Le Collège Champittet a été dirigé par les Chanoines du Grand-Saint-Bernard de 1951 à 1998. Aujourd’hui, il est propriété de Nord Anglia Education. Soit un groupe ambitionnant de «regrouper des écoles d'excellence». Suite au témoignage de François*, va-t-elle lancer un appel à témoin pour identifier de potentielles autres victimes du Père Narcisse* comme l’avait fait en 2018 la Holy Trinity School, un collège canadien où avait sévi l’ex-directeur d’internat pédophile du Collège Beau Soleil de Villars-sur-Ollon? «La Congrégation du Grand-Saint-Bernard a pris des mesures pour encourager toute personne susceptible d'avoir été affectée à se manifester et à s'adresser à eux ou aux autorités locales. En tant que nouveaux propriétaires et nouvelle direction, le bien-être et la sécurité des élèves sont notre priorité absolue (…) Indépendamment de l’époque à laquelle les faits ont eu lieu, la communauté scolaire de Champittet exprime son soutien complet et sans équivoque aux personnes affectées», nous a répondu la direction de l’école pulliérane.