Initiative sur la protection des mineurs: des pressions dénoncées

LOI SUR LES MINEURS • Alors que le délai court jusqu’au 27 janvier, la récolte des signatures pour refonder la loi vaudoise de protection des mineurs piétine. Le comité de l’initiative dénonce de multiples pressions.

  • Nicola Di Giulio et Sandra Pernet, membres du comité de l’initiative. CA

    Nicola Di Giulio et Sandra Pernet, membres du comité de l’initiative. CA

Apparemment, c’est un texte qui dérange. Lancée en septembre dernier par un collectif qui souhaite remédier, selon les propos des initiants, «aux dysfonctionnements du SPJ, le service vaudois de protection de la jeunesse», l’initiative populaire «Nos enfants, les familles et professionnels du Canton de Vaud ont besoin de lois et structures adaptées», vise à obtenir une refonte complète de l’actuelle loi sur la protection des mineurs.

Alors que le délai court jusqu’au 27 janvier prochain, la récolte des signatures en faveur du texte semble piétiner. A ce jour, 500 paraphes ont été recueillis, sur les 12’000 requis pour que les Vaudois puissent se prononcer en votation. En cause, l’actualité politique saturée durant de longues semaines par les élections fédérales, mais aussi, selon des représentants du comité, en raison des intimidations subies.

«C’est comme cela depuis le lancement du texte, constate Nicola Di Giulio, conseiller communal et membre du comité d’initiative. Moi-même par exemple, on m’a dit: “tu vas te suicider politiquement!”»

«De mon côté, renchérit Sandra Pernet, elle-même très impliquée dans le texte, après avoir longtemps dénoncé le deal de rue, j’ai comme par hasard reçu une demande de retrait du droit de garde de ma fille le jour même où je terminais une séquence pour un reportage que l’émission “Temps présent”, consacrait à l’initiative».

Plus grave encore, selon le comité, une note interne au SPJ menacerait de «répercussions professionnelles tout collaborateur du Service qui s’impliquerait de près ou de loin dans cette initiative».

«Beaucoup de personnes ont souhaité nous aider, observe Sandra Pernet. Mais elles se sont rétractées par crainte de représailles, ou parce que l’on a colporté contre nous des assertions mensongères selon lesquelles nous sommes des personnes peu fréquentables. C’est en tout cas ce que beaucoup de parents et d’assistants sociaux nous ont rapporté».

Hypothèse absurde

«Le Département l’a déjà dit, les objectifs de cette initiative sont pour la plupart partagés par le Département et plus particulièrement par le Service de la protection de la jeunesse (SPJ), explique Julien Schekter, responsable de la communication du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture. Il est donc absurde de croire ne serait-ce qu’une seule seconde que ce même service pourrait émettre une telle note interne!»

Très ambitieux, le texte de l’initiative demande une refonte de l’actuelle loi sur la protection des mineurs avec notamment deux mesures phares: la mise en place d’une commission neutre destinée à traiter «les plaintes qui concernent la prise en charge des mineurs par les structures de l’Etat» et l’instauration d’un «tribunal de famille» en cas de conflits.

«Notre texte n’est pas contre le SPJ, prévient Sandra Pernet. Car il y a des cas ou le SPJ fonctionne bien, et d’autres où effectivement les familles dysfonctionnent. Notre but est seulement de rafraîchir une loi qui date de 2004 et qui est clairement inadaptée à la société et aux familles d’aujourd’hui».

De son côté, «le SPJ et le Département mettent en ce moment même en place les décisions prises ces derniers mois pour améliorer la protection de l’enfant et les relations avec les familles, conclut Julien Schekter. C’est sur ces mesures que nous sommes concentrés.»

Un débat indispensable, l'éditorial de Charaf Abdessemed

Evidemment c’est un sujet émotionnel au possible. Parce qu’il évoque le bien-être de nos enfants, parce qu’il concerne des situations toujours douloureuses, souvent inextricables et pour lesquelles il s’agit la plupart du temps de trouver la moins mauvaise solution possible. Décider du devenir d’un enfant est toujours extrêmement délicat. Qu’il s’agisse d’une simple garde entre parents qui ne s’aiment plus au point de s’entredéchirer, ou qu’il s’agisse de le retirer à une famille maltraitante ou incapable de subvenir à ses besoins matériels et émotionnels. A ce titre, mener une mission comme celle du Service de Protection de la Jeunesse en satisfaisant tout le monde est une tâche par définition impossible. Cela étant posé, reste une autre évidence: pour ardue qu’elle soit, l’action de ce service hautement sensible ne saurait se solder par un simple «Circulez il n’y a rien à voir!», balayant, comme ce fut si fréquemment le cas, des critiques souvent justifiées et portant sur des dysfonctionnements avérés. C’est là que réside l’intérêt de l’initiative «Nos enfants, les familles et les professionnels du Canton de Vaud ont besoin de lois et de structures adaptées». Certes portée par des personnes impliquées à titre personnel, elle a le mérite d’instiller un nécessaire débat démocratique sur un sujet épineux et trop souvent escamoté. Plus important encore, le texte consacrerait l’irruption des familles dans la gestion d’un domaine qui les concerne au premier chef mais dont elles étaient institutionnellement exclues. Enfin, last but not least, l’initiative pousse le SPJ à une remise en question salutaire, au point qu’elle est même aujourd’hui saluée par le Département de la formation et de la jeunesse. Autant dire qu’avant même une éventuelle votation, elle a d’ores et déjà fait mouche (lire en page 5).