Covid-19: une «pharma» lausannoise engagée dans la recherche d’un remède

VACCIN • La mise au point d’un vaccin sûr et efficace est un point essentiel de la bataille contre le Covid-19. Partout dans le monde, de nombreuses «pharmas» se sont lancées dans la bataille. Parmi elles, Debiopharm, qui a son siège à Lausanne. Entretien avec son président et administrateur-délégué Thierry Mauvernay. 

  •  Pour Thierry Mauvernay un traitement pourrait être prêt cet été dans le meilleur des cas. PHILIPPE PACHE

    Pour Thierry Mauvernay un traitement pourrait être prêt cet été dans le meilleur des cas. PHILIPPE PACHE

"Dans le cas du coronavirus, les tests sont très compliqués parce que la guérison est la norme entre 95 et 98% des cas"

Lausanne Cités: Comment votre société s’est-elle jetée dans la bataille du coronavirus?
Thierry Mauvernay:
Debiopharm se concentre sur deux aires thérapeutiques, l’oncologie et les maladies infectieuses. Qui dit maladies infectieuses, dit combattre les virus ou combattre des bactéries. Nous avons pris ce virage depuis longtemps au vu de l’importance des risques d’avoir une pandémie, qu’elle soit virale ou bactérienne. Aujourd’hui, la situation du coronavirus met davantage en lumière l’importance de la lutte contre les maladies infectieuses et ce sera certainement pour nous tous une occasion de réévaluer les risques.

Vous avez créé une task force et investi deux millions de francs. Dans quel but?
L’objectif, c’est de coordonner les efforts dans la lutte contre le coronavirus dans plusieurs domaines simultanément. La «pharma» peut en effet intervenir contre le covid-19 dans quatre domaines distincts. Il y a bien sûr le traitement, mais aussi le diagnostic, le monitoring - le suivi des patients -, et le vaccin. Nous n’avons pas l’expertise pour créer un vaccin, ce n’est pas notre domaine de compétence. En revanche, nous pourrions développer un traitement. Nous espérons avoir un produit qui puisse faire baisser la charge virale, mais nous ne sommes pas les seuls et tant mieux. Grâce aux sociétés dans lesquelles nous avons investi, nous pouvons également aider les hôpitaux à lutter contre la pandémie...

De quoi, in fine, engranger un sacré pactole...
En aucun cas Debiopharm ne gagnera de l’argent avec le Covid-19. Au contraire, nous en dépensons beaucoup, déjà à travers la task force. D’autres part, à travers la préparation et le financement d’un essai clinique. Et si celui-ci est réussi, par la mise à disposition du produit pour des milliers de patients. S’il y avait des revenus, ceux-ci seront confiés à une fondation ayant pour objectif de développer des traitements contre les maladies infectieuses.

En quoi est-il particulièrement difficile aujourd’hui de mettre au point un vaccin sûr concernant ce virus particulier?
Je ne suis pas un spécialiste des vaccins. Il y a des virus contre lesquels nous avons des vaccins et nous avons fait disparaître la variole de la terre. Mais n’oublions pas que pour le VIH nous n’avons pas encore découvert de vaccin en plus de 30 ans de recherches. Nous avons éradiqué certaines maladies, d’autres non. En l’occurrence, nous allons probablement trouver un vaccin contre le Covid-19. Je le souhaite de tout cœur. Cependant, cela prend du temps. Il faut le tester, déterminer s’il crée une réponse immunitaire, confirmer les résultats sur un certain nombre de patients et ensuite il faudra le produire. C’est un long processus.

Pourquoi ?
Le temps de la pharma se compte en décades. Il faut entre 10 et 12 ans pour développer un nouveau médicament, en raison des précautions à prendre et des risques pour les patients. La biologie est probablement la chose la plus complexe au monde. Nous devons attendre les réactions des patients. S’ils ne réagissent pas comme prévu, nous devons ajuster la posologie, le régime ou tester de nouvelles molécules qu’il aura fallu développer auparavant. C’est très frustrant. Il y a sans doute des choses à revoir dans ce processus. Il faudra certainement raccourcir les délais, et envisager l’application de nouvelles technologies avec des bras virtuels et l’utilisation massive des big datas. Actuellement, nous sommes loin de pouvoir modéliser complètement un être humain.

Selon vous, il est donc très important de respecter un protocole scientifique...
Dans tous les cas, respecter les protocoles scientifiques est important. La vie d’êtres humains est en jeu. C’est une donnée de base qui nous conduit forcement à une démarche rationnelle et prudente. Dans le cas du coronavirus, les tests sont très compliqués parce que la guérison est la norme entre 95 et 98% des cas. Si vous donnez un produit non efficace à 100 personnes qui ont le coronavirus, dans 85% des cas, ils seront guéris malgré tout. Le problème, c’est que dans le 10% des cas, ce «traitement» ne marchera pas bien et pas du tout dans 5 à 2% des cas restants. D’où l’importance de savoir à qui on prescrit un médicament et de bien le caractériser pour pouvoir valider son efficacité.

Les tests d’un antiviral déjà existant sur des patients atteints du coronavirus vont donc commencer. Comment cela va-t-il se passer pratiquement?
Nous attendons les autorisations des autorités de santé. Tous les pays ont créé des procédures accélérées, mais qui prennent tout de même un certain temps. Les scientifiques veulent s’assurer du rationnel du produit, de son mode d’action tant contre le virus ou contre sa réplication. Ce qui explique que seuls une quinzaine de produits sont en cours de test ou seront testés actuellement. Il s’agit aussi de s’assurer de la faible toxicité du produit. Il y aura ensuite tout une chaîne logistique à mettre en place. Comment le mettre à disposition? A quelles doses? A quels types de patients faut-il le prescrire? Etc. Ce travail prend beaucoup de temps, d’énergie et de réflexions. Parce qu’un grand nombre de questions se posent. Il faut d’abord faire un premier essai de phase II sur un petit nombre de patients, avant d’élargir l’étude pour confirmer les résultats.

Et combien de temps faudra-t-il attendre encore avant qu’un éventuel vaccin puisse être lancé sur le marché?
Selon nous, le vaccin pourrait être prêt éventuellement en fin d’année ou au début 2021 au mieux. L’idéal serait que plusieurs sociétés réussissent le à développer. Cela permettrait de multiplier les chances et également de réduire les difficultés de fabrication en grandes quantités. Contrairement au traitement qui ne concerne qu’une partie de patients atteints de covid-19, le vaccin s’adresse à l’humanité tout entière.