«Soit Credit Suisse renonce aux énergies fossiles, soit Roger Federer renonce à Credit Suisse»
Paul Castelain, Lausanne Action Climat
Prenez une icône. Ajoutez-y une dose de polémique, un retentissement mondial et voici notre bon vieux «Rodger» embarqué dans une histoire dont il se serait bien passé... Tel est le tour de force réussi par une petite équipe d’activistes lausannois regroupés sous le nom de Lausanne Action Climat, et qui a su exploiter l’aura du tennisman pour faire avancer la cause climatique. La démarche n’est pas nouvelle, très efficace et largement expérimentée. «Ce n’est pas la première fois que des mouvements sociaux ont recours à des icônes qui n’ont rien à voir pour défendre leur cause» observe Philippe Amez-Droz chercheur enseignant au Medialab de l’Université de Genève. «Cela avait déjà été le cas dans les années 70 de la part des anti-nucléaires ou par Franz Weber qui s’était associé à Brigitte Bardot pour défendre les bébés phoques». La cible cette fois, s’appelle Roger Federer. Et la séquence commence le 22 novembre 2018, lorsque de jeunes activistes miment une partie de tennis dans la succursale de Credit Suisse à Saint-François. Baptisée «Si Roger savait», l’action visait, selon les activistes, «à dénoncer l’hypocrisie de la deuxième banque du pays qui s’associe (...) à l’image positive de Roger Federer tout en participant sans vergogne à la destruction de l’environnement et au réchauffement climatique».
Sur son site, la banque annonce en effet fièrement que son «ambassadeur Roger Federer réunit toutes les qualités portées par le Credit Suisse: la classe mondiale suisse, l’ouverture d’esprit, des valeurs fortes, la recherche de l’excellence, la détermination et l’engagement philanthropique.»
Suite à leur action, les activistes ont été condamnés à 21’000 francs d’amende, un jugement logique qui sert parfaitement leurs objectifs. Ils font opposition et, contre toute attente, gagnent, tout au moins provisoirement, puisque la semaine dernière, un juge lausannois, arguant de l’état de «nécessité climatique» les a acquittés. Dans l’intervalle, la mèche allumée une année plus tôt, prend sur le web et les réseaux sociaux, avec les hashtags #RogerForClimate et surtout #RogerWakeUpNow, «Roger réveille-toi», flambent...
«Ce n’était pas prémédité, explique Paul Castelain, un activiste de Lausanne Action Climat: la campagne Rogerwakeup sur les réseaux à émergé d’une simple discussion. C’est le résultat d’une intelligence collective ici à Lausanne, puis soutenue par la logistique et le savoir-faire des réseaux de grandes ONG actives dans la préservation de l’environnement».
Federer réagit
Le résultat en tout cas, a été immédiat: l’affaire a aussitôt pris un retentissement international, encore démultiplié lorsqu’une autre icône, Greta Thunberg, a relayé la campagne sur les réseaux sociaux.
Piégé, Federer n’a eu d’autre choix que de réagir officiellement, dans un style tout ce qu’il y a de plus politiquement correct: «J’apprécie les piqûres de rappel sur ma responsabilité en tant qu’individu, athlète et entrepreneur et je m’engage à utiliser cette position privilégiée pour dialoguer sur des questions importantes avec mes sponsors» écrit-il ainsi le 13 janvier dernier. Avant d’annoncer un don en faveur des sinistrés des incendies en Australie. Le poisson a mordu à l’hameçon, il faut désormais le ferrer.
C’est ce que s’emploient immédiatement à faire les activistes. Portés par l’acquittement prononcé en leur faveur - une véritable aubaine - , et par la réaction officielle du Credit Suisse qui attaqué, dénonce la «campagne publique» menée contre lui tout en reconnaissant la réalité du réchauffement climatique, ils viennent de lancer, pour maintenir la pression un site ironiquement dénommé discreditsuisse.ch.
Quant à «Rodger», il ne sera pas oublié. «Nous entendons continuer bien sûr, lance Paul Castelain. Car il y a deux issues possibles: soit Credit Suisse renonce aux énergies fossiles, soit Roger Federer renonce à Credit Suisse. Nous souhaitons qu’il comprenne qu’en tant que personnalité publique il a un rôle majeur pour définir ce qui est acceptable dans une société». Au final, en utilisant Federer comme levier médiatique, les activistes ont réussi à retourner à leur avantage, par un effet d’arroseur arrosé une vieille technique de marketing, le «transfert d’image» qui conduit les sponsors à bénéficier de l’image d’un individu pour améliorer sa propre image.
Jeu, set et match, donc, pour Lausanne Action Climat.
Charaf Abdessemed