Le bord du lac, une vaste chambre d’écho

Chaque semaine, Lausanne Cités en collaboration avec l’équipe du livre «Une journée à Lausanne» et les éditions Favre vous proposent deux photographies d’un même lieu à Lausanne, hier et aujourd’hui, accompagnées d’une anecdote y relative. Aujourd’hui, le bord du lac.

  • GEOFFREY COTTENCEAU

    GEOFFREY COTTENCEAU

Je prends la direction de l’est, vers Pully. L’étroit sentier lacustre n’a été que partiellement réaménagé. Des tronçons entiers datent du XXe siècle, peut-être même d’avant. J’imagine tous les promeneurs qui sont passés par là au fil des années et se sont arrêtés aux mêmes endroits pour admirer les mêmes montagnes, Rochers de Naye, Tour de Mayen et d’Aï, Dent d’Oche, dans des luminosités et sous des cieux pourtant toujours différents; ce lieu est comme une vaste chambre d’écho où résonne ce qu’ont pu ressentir plusieurs générations de flâneurs.

Je me demande à quoi pensent les gens que je croise sur le sentier lacustre. Eux aussi paraissent sensibles au paysage, et peut-être qu’ils éprouvent les mêmes sensations que moi. J’ai eu l’occasion de voir des séquences du début du XXe siècle: des hommes et des femmes habillés avec soin, repus, sortant d’un repas bien arrosé, arpentant les quais, les yeux rivés à la ligne des montagnes, rendus sensibles à cette beauté par l’excès d’alcool et de nourriture. Et avant eux, je peux sans peine imaginer d’autres ancêtres, leurs peaux d’animaux sur le dos, pareillement arrêtés en bordure de l’eau, admirant les miroitements et les reflets, les scintillements du soleil sur les flots, saisis par cet aveuglement. C’était hier, il y a à peine dix mille ans de ça.

Philippe Testa, écrivain et enseignant, 2020 - extrait du roman L’Obscur paru aux Editions Hélice Hélas en 2020.