Une lausannoise témoigne: «Uber m’a juste sauvé la vie!»

Âgée de 60 ans, et travaillant dans l’agglomération lausannoise, Frédérique Vouga est chauffeure VTC depuis 2016.

Pour cette mère de 4 enfants, la célèbre plate-forme Uber a représenté une chance unique de reprendre pied dans le monde du travail.

Synonyme de précarité et de bas revenus, la profession attire pourtant sans cesse de nouvelles recrues.

«Avec Uber, je peux gagner mes propres sous, sans recourir ni au chômage ni à l’aide sociale»

Frédérique Vouga, chauffeur VTC

«Oui, je kiffe uber avec plaisir. Et je n’ai pas honte de le dire: Uber m’a sauvé la vie!» Alors que dans une précédente édition nous avions relaté les difficultés et le mal-être qu’éprouvent de nombreux chauffeurs de taxis classiques «malmenés par la libéralisation et la concurrence des plate-formes digitales», Frédérique Vouga, chauffeure VTC a tenu a apporter son témoignage. Loin d’être une thuriféraire de la célèbre plateforme de réservation de voitures avec chauffeur sur laquelle elle porte un regard distancié, cette Lausannoise de 60 ans n’en démord pas: «Oui, sans aucun doute, Uber m’a sauvé la vie». Et son témoignage mérite d’être entendu, tant il recoupe celui de centaines de Lausannois, vraisemblablement dans le même cas de figure.

Trop vieille

Car le problème de Frédérique est simple. Elle est vieille, bien trop vieille. Du moins si l’on se réfère au marché du travail, selon lequel on est vieux dès 50 ans, car on coûte trop cher. Résultat: passé cet âge fatidique, il devient de plus en plus difficile de trouver un emploi, un cruel paradoxe, alors que la Suisse est confrontée à un manque de main-d’œuvre.

L’histoire de Frédérique Vouga est donc celle de bien des femmes du canton. Après avoir dirigé une agence artistique pendant une dizaine d’années, elle décide d’interrompre son activité professionnelle pour se consacrer à l’éducation de ses enfants. Dix ans plus tard, avec deux divorces et 4 enfants à charge, elle décide de se remettre sur le marché de l’emploi. Les divorces sont problématiques, la vie est chère et les bouches doivent bien être nourries. Commencent pour elles 20 années d’errance professionnelle, où elle alterne périodes de chômage et périodes d’activité professionnelles. Volontaire, elle paye de sa personne et se forme, en décrochant, même un certificat d’intervenante en dépendance, qui lui permet même de décrocher un job de secrétaire aux Hôpitaux universitaires de Genève, toujours en contrats à durée déterminée et renouvelés plus ou moins régulièrement, jusqu’à ce qu’une restructuration mette définitivement fin à ses fonctions.

Deux ans plus tard, après des mois de chômage prolongé, la voici qui arrive en fin de droits. Nous sommes en 2016, et le chemin pour elle, à presque 60 ans, est d’une simplicité évidente: il mène à l’aide sociale.«Pour moi c’était l’impasse. A 4- 5 ans de la retraite, il me semblait clair que je ne retrouverais quasiment plus de travail, pas même de manière temporaire», raconte-t-elle.

C’est à ce moment-là que la fortune, si tant est que le mot ne soit pas largement exagéré, lui sourit. Elle reçoit une publicité en provenance... d’Uber. «Moi devenir chauffeure de taxi? Au départ, ça m’a semblé tellement saugrenu!» Mais elle ne réfléchit pas très longtemps, au vu de la situation dans laquelle elle se trouve. Comme à son habitude, elle fonce. Un coup d’œil au solde de son compte en banque et la voilà, en un après-midi à peine, qui fait l’acquisition d’une superbe Renault Grand Scenic, avec moins de 5000 km au compteur.

«J’ai aussitôt installé l’application Uber sur mon téléphone. Je me suis loguée, et voilà j’avais du taf, merci Uber, je n’allais pas tomber dans le caniveau!»

Au-delà de la survie économique, l’enjeu est également ailleurs. Pour Frédérique, il s’agit avant tout de dignité: «Après avoir élevé quatre enfants, on n’a qu’une seule envie: travailler et travailler! Avec Uber, je peux gagner mes propres sous, sans recourir ni au chômage ni à l’aide sociale. Parce que le travail, c’est ne pas se condamner à rester has been, c’est être dans le vent, c’est bon pour le moral »

Alors bien sûr tout n’est pas facile. Il faut passer le permis de conduire professionnel, faire l’acquisition d’un tachygraphe, faire les démarches pour obtenir un statut d’indépendante. Tout cela pour espérer, une fois toutes les déductions faites, au mieux un revenu de... 3000 francs pas mois.

Libre mais de faibles revenus

«C’est peu, admet Frédérique, mais cela me suffit pour vivre. Mes enfants sont grands, ils ont tous fait des études universitaires et travaillent. Mais c’est vrai qu’avec Uber, il faut penser à une autre activité en parallèle».

Malgré son faible revenu, et la concurrence féroce qui s’annonce, y compris au sein même de la plateforme Uber, elle entend plus que jamais poursuivre son activité de chauffeur VTC: «Je travaille en toute liberté quand je veux et ce, dans une région magnifique, car en réalité, mon bureau, c’est le Lavaux, s’enthousiasme-t-elle. Et puis, le contact avec la clientèle est tellement enrichissant!» Avant d’ajouter, pensive: «Non le problème à mon avis est plutôt collectif. Avec toute cette ubérisation qui touche de plus en plus de professions, où va-t-on aller? Va-t-on tous finir quasiment sans protection sociale? Le véritable enjeu, au-delà de mon histoire, c’est le devenir des acquis sociaux, prévoyance professionnelle, droit aux vacances, durement arrachés par nos aïeux!»

Charaf Abdessemed