Syndrome de Noé: un cauchemar pour les animaux domestiques

MALTRAITANCE • Dans le canton de Vaud, certaines personnes vivent avec des dizaines d’animaux qu’elles négligent. On signale au moins un cas tous les deux mois. La SPA évoque des «scènes d’horreur».

Stéphane Crausaz, responsable communication à la SVPA

Une forte odeur d’urine vous pique le nez dès que vous entrez dans l’appartement. A l’intérieur, vous trouvez des dizaines d’animaux livrés à eux-mêmes et affamés. La SPA est habituée à ce genre de scènes. Chaque année, dans le canton de Vaud, huit ou neuf cas sont signalés, souvent par des voisins incommodés. Les psychiatres parlent de «syndrome de Noé», en référence au personnage biblique qui a construit une arche pour sauver du déluge deux spécimens de chaque espèce animale.

Chats, chiens, lapins, rongeurs, reptiles et animaux à plumes: les personnes qui souffrent de ce syndrome accumulent toutes sortes d’animaux domestiques dont elles finissent par ne plus pouvoir s’occuper, faute d’argent. Il n’y a chez elles aucune intention de nuire. Elles sont attachées à leurs bêtes, mais dépassées par la situation et dans un déni massif face à leur incapacité d’en prendre soin.

Selon Julien Elowe, médecin-chef de service au département de psychiatrie du CHUV, il existe un fort apparentement avec le syndrome de Diogène. Ce trouble se traduit par l’accumulation compulsive d’objets inutiles, aboutissant à un envahissement de l’espace vital de la personne et à une dégradation de ses conditions d’hygiène.

Le syndrome de Noé a été étudié pour la première fois dans les années 1990 par le vétérinaire et épidémiologiste américain Gary Patronek, qui l’a baptisé «animal hoarding» (accumulation d’animaux). L’évolution du statut de l’animal domestique ne serait pas étrangère à l’apparition de ce phénomène. Aujourd’hui considéré comme un membre de la famille à part entière, il est malheureusement du même coup exposé à un risque de maltraitances au sein du foyer. Présidente du refuge SOS Chats, à Meyrin, Valérie Derivaz est régulièrement confrontée à des situations dans lesquelles des chats – en moyenne une quinzaine, jusqu’à 60 dans les cas les plus graves – sont entassés dans un logement sans aucune possibilité de sortir.

Adoption compulsive

Même constat à Lausanne, où la SPA vaudoise est encore récemment intervenue dans un appartement où étaient détenus 50 animaux, «des chats, beaucoup de rongeurs, des poissons et des reptiles», selon Stéphane Crausaz, responsable de la communication. «D’après mon expérience, il y a plusieurs types de profil, explique Valérie Derivaz. Il peut s’agir de personnes isolées qui ont déjà des difficultés financières à la base. Elles se lancent dans la reproduction et se retrouvent avec des dizaines de chats non stérilisés qu’elles n’ont plus les moyens de nourrir et de soigner. Les lieux sont souvent délabrés et les bêtes en très mauvais état, quand elles ne sont pas en train de mourir. Et puis, il y a des gens qui adoptent des animaux de manière compulsive, mais qui ne sont pas forcément dans la précarité. Souvent, les personnes sont emportées par leur bon cœur et elles ne se rendent pas compte qu’en réalité elles maltraitent leurs animaux.»

«C’est vrai que les personnes concernées vivent souvent dans une grande solitude, mais certaines sont parfaitement intégrées dans la société», constate Stéphane Crausaz. «Je me rappelle d’une femme qui était fondée de pouvoirs dans une banque et qui vivait avec 60 chats, dont beaucoup étaient morts quand nous sommes intervenus sur demande de la police. Rien à première vue ne permettait d’imaginer une telle chose.» Stéphane Crausaz se souvient également d’une dame qui vivait avec 25 chiens dans une petite maison de quatre ou cinq pièces sur les hauts de Pully. «En entrant, on a découvert un chien égorgé par ses congénères. Le temps de prendre en charge ceux qui se trouvaient à l’intérieur, il avait été à moitié dévoré.»

Taux de récidive élevé

Selon certaines études consacrées au syndrome de Noé, lorsqu’une intervention est ordonnée par les services vétérinaires, on retrouve des animaux morts dans 80% des cas. Intervenir plus tôt est très difficile, dans la mesure où les associations de protection des animaux ne sont pas autorisées à s’immiscer chez les gens pour s’assurer qu’ils prennent bien soin de leurs petits protégés. De plus, les personnes qui présentent un syndrome de Noé ne se considèrent pas comme malades; elles ne voient pas où est le problème et trouvent toujours une explication qui les met hors de cause quand leurs animaux dépérissent sous leurs yeux. D’où un taux de récidive extrêmement élevé – il pourrait aller jusqu’à 100%, selon une recherche française.

Sanctions pénales possibles

Théoriquement, les particuliers qui détiennent un grand nombre d’animaux dans de mauvaises conditions s’exposent à un risque de sanctions pour maltraitance animale. La loi ordonne aux propriétaires de prévoir «un espace suffisant, de façon à ce que les animaux puissent y exprimer les comportements propres à l’espèce.» Par exemple, le chien a droit à une «surface de base» de 2 m² environ. Il doit pouvoir sortir tous les jours ou disposer à défaut d’un enclos de 20 m² au moins. Quant au chat, il faut compter une surface de base de 7 m² pour quatre bêtes et chacune doit avoir sa caisse.