Sécurité: "les jeunes d'aujourd'hui sont plutôt calmes"

L’idée reçue d’une jeunesse plus criminelle est démentie par la réalité du terrain. La police lausannoise estime, au contraire, que la délinquance des mineurs a plutôt tendance à baisser. Une bonne nouvelle à nuancer.

«Les adolescents se défoulent davantage sur les réseaux sociaux que dans la rue»

Jean-Marc Granger, chef de la Brigade de la jeunesse de Lausanne

«Incendie volontaire», «course-poursuite sur l’autoroute», «violences en bande organisée», l’actualité donne souvent l’impression que la délinquance des mineurs augmente à Lausanne. Mais sur le terrain, la réalité est bien différente: «C’est assez étonnant de voir que notre ville ne concentre pas les phénomènes de violence que l’on peut retrouver ailleurs en Romandie, souligne Jean-Marc Granger, chef de la Brigade de la jeunesse de Lausanne. Il y a des générations plus difficiles que d’autres, mais les jeunes d’aujourd’hui sont plutôt calmes.

La délinquance dans notre ville est plutôt en baisse avec 271 dossiers traités transmis au Tribunal des mineurs en 2020 contre 318 en 2019.» Par contre, en ce qui concerne les actes violents, les statistiques sont plus inquiétantes avec 109 cas l’an dernier contre 91 en 2019. Une hausse de près de 20% qui n’inquiète pas Jean-Marc Granger: «La Municipalité met les moyens pour assurer la meilleure sécurité possible à Lausanne. Il n’existe pas, contrairement à ce que l’on entend parfois, de quartiers véritablement dangereux. Il y a vingt ans, quand j’ai commencé, la jeunesse était bien plus inquiétante avec des adolescents toxicomanes, délinquants et cambrioleurs. Aujourd’hui, ils se défoulent peut-être davantage sur les réseaux sociaux que dans la rue.»

Intolérance à la violence

Ce constat sur le terrain est corroboré par Marcelo Aebi, criminologue et vice-directeur de l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne: «Si la population a l’impression que les jeunes sont plus dangereux qu’avant, c’est parce que l’on accepte moins la violence que par le passé. Elle n’augmente pas, c’est un mythe. Cet automne, nous allons réaliser un sondage afin d’avoir d’autres indicateurs que les chiffres de la police.» Les divers semi-confinements auront-ils un impact sur la nervosité des jeunes? «Ce fut une période compliquée pour les ados, mais je ne pense pas que ce ras-le-bol aura d’importantes répercussions.» Ce que confirme le chef de la Brigade de la jeunesse de Lausanne: «En accompagnant les jeunes sur le terrain notamment grâce à la présence de nombreuses patrouilles, cela se passe très bien.»

Si la situation lausannoise en matière de délinquance juvénile est qualifiée de satisfaisante, la tendance semble toutefois différente sur le plan cantonal.

En 2020, le nombre d’affaires traitées par le Tribunal des mineurs a connu une hausse de 23%. Faut-il s’en inquiéter? Pas vraiment car cette hausse concerne principalement le non-port du masque et l’absence de distanciation sociale. «Nous pouvons relever l’augmentation marquée des délits divers, elle est due aux infractions en lien avec les mesures destinées à lutter contre le Covid-19, explique Céline Rod, porte-parole du Secrétariat général de l’ordre judiciaire (OJV). Quant aux infractions contre le patrimoine, comme les vols à l’arraché ou le brigandage, elles ont enregistré en 2020 une hausse de 15% qui peut, en partie, s’expliquer par l’arrivée de délinquants mineurs non accompagnés. Ces derniers proviennent principalement d’Algérie ou du Maroc.» Et Jean-Marc Granger de rassurer: «Ces mineurs non accompagnés sont repartis, nous n’avons plus de problème avec eux. Mais au vu des flux migratoires actuels, de nouvelles arrivées ne sont pas à exclure.»

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L’an dernier, le Tribunal des mineurs a connu une hausse de 23% du nombre de dossiers traités, il y a un problème avec les jeunes?

Au risque d’être «hashtagué» par le mouvement Me Too, je citerai la phrase de Coluche: «Les statistiques, c’est comme le bikini: ça donne des idées mais ça cache l’essentiel.» Le nombre de jugements a certes augmenté. Mais, quand on sait que les jugements concernent en principe des années précédentes, ce nombre ne dit rien de la situation actuelle. Pour ma part, je conteste en tout cas toute interprétation soutenant une insécurité croissante.

La justice est-elle trop clémente avec les jeunes?

Ceux qui l’affirment reprennent un discours aussi lancinant que stéréotypé, souvent en période préélectorale. Tant sur le plan légal que de la justice, rien ne l’indique. Je rappelle du reste que le Tribunal fédéral a admis qu’un enfant peut être placé en détention provisoire dès l’âge de 10 ans. Cela ne me semble pas être laxiste, bien au contraire.

Dans le même temps, les structures romandes pour délinquants mineurs manquent souvent de places, faut-il s’en inquiéter?

On constate un manque de structures en lien avec le placement de filles en Suisse romande. L’option d’un placement en Suisse alémanique doit trop souvent être envisagée. Pour les garçons, un manque de places s’observe également. J’ai notamment suivi un mineur délinquant qui a trop longtemps été sur liste d’attente alors qu’il fallait le prendre en charge immédiatement.

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«Les enffans de nostre temps sont plus vilz et beaucoup pires que n’estoyent les enffans du temps passé». Cette phrase, parfaitement orthographiée, est l’œuvre du juriste Joos de Damhouder en 1555. Près de cinq siècles plus tard, la tentation de diaboliser la jeunesse et de glorifier le passé est intacte. On l’entend tous les jours, au détour d’une rue ou au café du coin, les mineurs sont plus violents et plus délinquants. Des bandes traîneraient même dans des quartiers à la tombée de la nuit.

Ce sentiment d’insécurité est démoli par la réalité du terrain. Par la police lausannoise notamment qui patrouille à longueur de journées… et de soirées. Par les représentants de l’ordre judiciaire aussi, dont le contact avec les jeunes est quotidien. Ces constats valent toutes les statistiques. Car si certains chiffres semblent donner l’impression d’une augmentation des faits de violence, ils sont souvent l’œuvre de quelques récidivistes du trouble public.

A Lausanne, le maillage social est suffisamment serré pour que les mineurs à la dérive puissent rapidement se réintégrer à la société. Grâce au sentiment, justifié, d’une véritable égalité des chances. Mais aussi et surtout par le travail, principal pilier pour s’extirper de l’errance délinquante.