Réforme de l’AVS: où vont les femmes?

VOTATION • Le 25 septembre prochain, les Suisses vont se prononcer sur le projet AVS 21, défendu par le parlement et le Conseil fédéral mais combattu par référendum. Deux femmes politiques lausannoises, l’une de droite et l’autre de gauche, confrontent leurs visions.

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Propos recueillis par Charaf Abdessemed

Pour AVS 21: Florence Bettschart-Narbel, PLR

Les comptes de l’AVS sont bénéficiaires et plutôt au beau fixe. Etait-ce le bon moment pour changer la loi?
Entre 2014 et 2019, les comptes de l’AVS présentaient un déficit et n’ont été par la suite améliorés que par la réforme de l’imposition des entreprises. Mais, dès 2025, ceux-ci seront de nouveau dans le rouge et ne feront que s’enfoncer en raison de l’arrivée à la retraite des baby-boomers et de l’augmentation de l’espérance de vie. Si nous voulons garantir les rentes, nous devons légiférer maintenant.

AVS 21 prévoit l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans et cela est présenté comme une mesure d’égalité. N’est-ce pas hypocrite dès lors que l’égalité salariale n’est toujours pas atteinte entre hommes et femmes?
Des mesures de compensation sont prévues pour les femmes les plus touchées par la réforme, et en particulier pour celles qui gagnent le moins. Ainsi, les femmes nées en 1961 et 1969 pourront recevoir des rentes à vie d’un montant supplémentaire allant de 50 à 160 francs selon leur revenu.

Les femmes touchent actuellement des rentes de retraite un tiers moins élevées que les hommes. Est-il juste de leur demander de travailler une année supplémentaire?
Deux éléments: tout d’abord, c’est surtout dans le 2e pilier qu’il y a une différence importante de rente entre les femmes et les hommes. C’est dans ce dossier-là qu’il faudra agir, par exemple en faisant en sorte que les femmes cotisent dès le 1er franc. Dans le 1er pilier, la différence est de l’ordre de 1 à 2 %. Ensuite, en 1948, lorsque l’AVS a été introduite, l’espérance de vie pour les femmes était de 13 ans après la retraite, aujourd’hui elle est de 23 ans (pour les hommes 12 ans, respectivement 20 ans). L’augmentation de l’âge de la retraite est dès lors équilibrée.

Elever l’âge de la retraite des femmes à 65 ans est-il bien raisonnable dès lors que l’on sait qu’il est très difficile de retrouver du travail après 60 ans?
Les statistiques du chômage démontrent que ce sont surtout les jeunes qui sont au chômage. Pour les soixantenaires, le taux correspond à peu près à la moyenne suisse que l’on soit un homme ou une femme.

Pour les opposants à AVS 21, la réforme conduit les femmes à perdre une année de rente AVS, soit environ 26’000 francs. Est-ce juste et équitable?
Les femmes vont surtout perdre une année de salaire, souvent intéressante financièrement à l’aube de la retraite. Il est donc totalement faux de dire qu’elles vont perdre quelque chose.

Le projet prévoit également un relèvement modeste de la TVA. Or la TVA est payée par tout le monde y compris les plus pauvres. Est-ce équitable alors que les effets de l’inflation commencent à se faire sérieusement sentir?
Comme vous le dites, il s’agit d’une augmentation modeste: 0,1% pour les denrées alimentaires, soit 10 centimes de plus sur un achat de 100 francs. Cette mesure simple fait en sorte que toutes les générations contribuent à garantir l’AVS. Elle est nécessaire malgré l’inflation.

 

Contre AVS 21: Léonore Porchet, Les Verts

Les comptes de l’AVS sont bénéficiaires mais les perspectives sont bien plus inquiétantes. N’est-il pas temps de modifier la loi pour assurer la pérennité des retraites des Suisses?
Les perspectives ne sont pas inquiétantes: toutes les projections pessimistes ont été démenties! Le défi des baby-boomers est bien réel, mais il est ponctuel et il peut être surmonté avec un financement ponctuel, par exemple avec les réserves de la BNS attendant d’être distribuées. Et si vous me parlez du rapport «nombre d’actifs pour nombre de rentiers», les calculs sont biaisés, puisque «les actifs» sont toutes les personnes en âge de travailler, que ce travail soit salarié ou non. Or, il y a une part de plus en plus importante de ces «actifs» qui occupent un travail salarié, participant ainsi à la bonne santé de l’AVS.

Le projet AVS 21 prévoit l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. N’est-ce pas une simple mesure d’égalité?
C’est l’égalité à l’envers! Les femmes sont discriminées tout au long de leur vie et c’est elles qui sacrifient leur carrière (et donc leur salaire et leurs cotisations) pour s’occuper des enfants et des proches dans le besoin. En conséquence, elles ont des rentes d’un tiers plus basses que les hommes. Une retraitée sur 6 vit dans la pauvreté! Et il faut rappeler que cette réforme ne touche pas que les femmes, les couples aussi vont perdre une année de rente.

Le projet prévoit une flexibilité pour moduler son départ à la retraite entre 63 et 70 ans. N’est-ce pas une mesure qui donne plus de liberté à chacun pour organiser sa retraite, et pour les femmes, combler leurs lacunes de cotisation?
La flexibilité n’est pas combattue. Mais elle ne va que dans un sens, celui de travailler plus. En effet, les femmes perdent une année d’accès à la retraite anticipée (63 ans au lieu de 62 ans). Pour combler les lacunes de cotisation, il serait plus efficace et durable de prendre des mesures en faveur de l’égalité, à commencer par améliorer l’accueil de jour des enfants, instaurer le contrôle de l’égalité salariale et mettre en place un congé parental.

La retraite pour tous au minium à 67 ans n’est-elle pas inéluctable dès lors que l’espérance de vie augmente?
Ce sont les années de vie en bonne santé qui comptent et en Suisse, la moyenne est de 68 ans, pour les hommes comme pour les femmes. De plus, elles ne sont pas les mêmes pour tout le monde: plus on a de l’argent, plus les chances de vivre longtemps en bonne santé augmentent. Et les personnes les plus riches auront elles les moyens de prendre leur retraite quand bon leur semble.

Que serait pour vous une bonne réforme de l’AVS?
L’AVS a une obligation constitutionnelle qu’elle ne respecte pas: garantir le minimum vital. La première urgence, c’est donc d’augmenter les rentes, pas le temps de travail! Et l’argent est là: la BNS ne distribue pas toutes les réserves qu’elle devrait redistribuer chaque année et les possibilités sont énormes. Mais une petite augmentation des cotisations suffirait aussi. Nous avons des possibilités pour un système de retraite solide pour tout le monde, c’est un choix politique!

Une réforme combattue par la gauche et les syndicats

Après deux échecs en votation, le peuple suisse est appelé à se prononcer une fois de plus sur une réforme de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants. Elaboré par le gouvernement et le Parlement, le projet soumis à votation le 25 septembre et baptisé AVS 21, prévoit que l’âge de référence, pour le versement des prestations de la prévoyance vieillesse soit de 65 ans pour les hommes et les femmes. L’âge de référence pour les femmes sera relevé de 64 à 65 ans progressivement, à raison de trois mois par année. Enfin un départ à la retraite sera possible de manière flexible, entre 63 et 70 ans. Le peuple devra également se prononcer en parallèle sur une hausse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) destinée à financer cette réforme.

Toutes les mesures sont liées entre elles: la hausse de la TVA ne peut entrer en vigueur que si les autres mesures sont aussi acceptées et vice-versa. Cette réforme est combattue par la gauche et les syndicats ont saisi le référendum et combattent une réforme qui se fait à leurs yeux sur le dos des femmes et des personnes à bas revenu.

Comme un boomerang, l'éditorial de Charaf Abdessemed

La votation du 25 septembre sur la réforme de l’AVS est un bon exemple des effets contreproductifs que peuvent produire les outrances dans un débat de société. Le 25 septembre, les Suisses devront se prononcer sur une réforme en profondeur du premier pilier de notre système de retraite, avec à la clé une augmentation de l’âge de la retraite pour les femmes (lire notre débat en page 3). Un sujet très clivant et dont l’issue est loin d’être certaine, comme l’objectivent les fluctuations quasi quotidiennes des sondages à ce propos.

Sauf que sous les coups de boutoir d’un féminisme évidemment légitime sur le fond, mais ô combien agressif et excessif sur la forme, cette votation s’apparente de plus en plus à une confrontation hommes-femmes. Avec une dialectique masculine un rien jubilatoire et au goût de revanche, pour justifier un «oui» le 25 septembre: «elles veulent l’égalité, eh bien elles vont l’avoir!». Piégées, les femmes voient donc l’argumentaire de l’égalité se retourner contre elles, obligées qu’elles sont désormais d’en invoquer (enfin!) les nuances, forcément complexes, et d’expliquer que l’égalité ne se résout pas à un âge de retraite égal pour les deux sexes.

La nuance, voilà donc ce qui a si souvent manqué à un féminisme trop enclin à systématiquement considérer les hommes - et Dieu sait si nombre d’entre eux sont favorables à leur combat -, non pas comme des partenaires, mais forcément comme des machistes à leur insu, insuffisamment «déconstruits» et tutti quanti. Les femmes pourraient bien en payer le prix ce 25 septembre, et ce serait bien dommage pour une certaine idée de... l’égalité.