Prostitution: à Lausanne, le «sexe tarifé» est aux abois

Même si elle est restée permise pendant la 2e vague de coronavirus, la prostitution reste en difficulté à Lausanne.
Salons et prostituées enregistrent parfois une baisse de 80% de leur chiffre d’affaires.
Les contraintes imposées par le virus, traçage en tête, et la peur de celui-ci freinent certains clients.

  • Les contraintes imposées en raison de la crise sanitaire et la peur d’attraper le virus freinent de nombreux clients. VERISSIMO

    Les contraintes imposées en raison de la crise sanitaire et la peur d’attraper le virus freinent de nombreux clients. VERISSIMO

«La peur d’être contaminées touche certaines, notamment les plus âgées, bien qu’avant même la pandémie elles étaient très attentives à l’hygiène»

Sandrine Devillers, directrice adjointe de Fleur de Pavé

Depuis le 20 janvier, la prostitution est à nouveau permise chez nos voisins genevois. Les onze semaines et demi d’arrêt ont laissé salons et travailleuses du sexe (TDS) exsangues. Du côté de Lausanne, il y avait eu trois mois d’interruption lors de la première vague de coronavirus, mais aucune en novembre, car le Conseil d’Etat voulait éviter que l’activité ne tombe dans la clandestinité et l’insécurité qui va avec. Malgré cela, et malgré le fait que certaines TDS de cantons voisins s’étaient expatriées sur Vaud, la situation y est similaire.

La peur du Covid

«Comme beaucoup dont certains craignent la faillite, mon salon perd 80% de son chiffre d’affaires en ce moment. On vit sur nos réserves. Si on “travaillote” à perte, c’est surtout pour les filles, à qui nous offrons le logement gratuit le temps de la crise», assure Thierry Schmidely. Le patron de l’Anaconda est membre du comité de «Demi-Mondaine», association mise sur pied au printemps pour défendre la branche. Son établissement de 2 000 m2 du Flon est le plus gros du canton. En temps normal, une vingtaine de TDS y officient contre le quart actuellement.

Les restrictions nécessaires à la pratique de la prostitution n’aident pas. Les horaires sont calqués sur ceux des entreprises de service à la personne. Soit un 6h – 19h peu propice à la prostitution, laquelle se déroule traditionnellement pour une bonne part de nuit. «Nous ouvrons de 12h à 19h contre 17h à 3h habituellement. Beaucoup de clients ne le savent pas. D’autres ne peuvent venir, car ils travaillent. Certains ont simplement peur d’attraper le Covid», peste Thierry Schmidely.

Ni «french kiss» ni «missionnaire»

Bien que toujours permise de 22h à 5h, la prostitution de rue est plus impactée encore. «Beaucoup des TDS la pratiquant sont rentrées au pays. Les autres travaillent très peu à cause d’une vie nocturne au ralenti charriant peu de clients», relève Sandrine Devillers, directrice adjointe de «Fleur de pavé», association de défense des TDS vaudoises.

Autre contrainte: le traçage. Avant chaque passe, les clients doivent s’enregistrer avec un QR code. Seul le médecin cantonal aura accès à eux en cas de contact avec une personne testée positive, mais cela en refroidit certains. «Nos dirigeants ont tant tergiversé depuis le début de la crise et ont fait preuve de si peu de proportionnalité que la confiance en eux est en chute libre», analyse Thierry Schmidely.

Durant les «prestations», désormais limitées à deux personnes, soit le client soit la prostituée doivent porter un masque. Quant aux pratiques tête-à-tête, telle que le «french kiss», elles sont proscrites. A l’Anaconda, la position du missionnaire est même fortement déconseillée. L’établissement lausannois a dû fermer son bar, «lequel représentait 50% du chiffre d’affaires et des entrées en matière plus softs entre les clients et les filles», déplore Thierry Schmidely.

Essor des «sex-cam»

Si l’on ajoute à tout ça la peur d’attraper le Covid, le sexe tarifé n’a plus grand-chose d’excitant du point de vue de certains clients. «La peur d’être contaminées touche également certaines TDS, notamment les plus âgées, bien qu’avant même la pandémie elles étaient très attentives à l’hygiène», relève Sandrine Devillers.

«Sex-cam» et autres «téléphones roses» en revanche prospèrent. Ils constituent de rassurants ersatz du point de vue sanitaire et permettent aux TDS qui s’y mettent de limiter un peu les dégâts financiers. Bradley Charvet, directeur de FGirl.ch, sorte d’Anibis romand de la petite annonce érotique vérifiée, résume: «Nous avons perdu 30% de notre chiffre d’affaires à cause des semaines d’arrêt, mais dès la fin de la première vague on a vécu un boom du virtuel. Et aujourd’hui, on enregistre 1.6 millions de visiteurs mensuels contre 1.2 auparavant…»

Ne pas tout fermer une seconde fois en novembre a été une bonne décision, car aucun cluster n’a été à déplorer dans les salons, selon Sandrine Duvillers. «Mais la première vague avait vu nombre de TDS basculer de la précarité vers la misère et beaucoup y sont restées au point de peiner à payer plus que leur loyer et leur nourriture», alerte la professionnelle dont l’organisation a pu apporter à 340 d’entre elles une aide directe durant la 1ère vague.