Pierre-Yves Maillard, une succession plus disputée qu'attendu

Le 17 mars prochain (1er tour), les citoyens vaudois sont appelés à élire un nouveau Conseiller d’Etat en remplacement de Pierre-Yves Maillard qui  va prendre la tête de l’Union syndicale suisse (USS). L’enjeu de cette élection complémentaire est, pour la gauche, de maintenir les quatre sièges qu’elle détient depuis huit ans. Pour l’UDC, il s’agit de reconquérir un siège au gouvernement. Interviews de l'ensemble des 5 candidats: La socialiste Rebecca Ruiz, l’UDC Pascal Dessauges, le PDC Axel Marion, la popiste Anaïs Timofte et  le représentant d’Ensemble à Gauche Jean-Michel Dolivo.

Les 3 outsiders:

- Le PDC Axel Marion: retrouvrez son interview ici
- La POP Anaïs Timofte:
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- Jean-Michel Dolivo, Ensemble à Gauche:
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Interview croisée des 2 favoris, Rebecca Ruiz (PS) et Pascal Dessauges (UDC)

Quelle principale qualité reconnaissez-vous à votre adversaire?

Rebecca Ruiz: On ne se connaissait pas avant la campagne. J’observe que nos échanges en face-à-face se déroulent dans le respect, ce qui est appréciable, contrairement à ce que j’observe hélas sur les réseaux sociaux.

Pascal Dessauges: Mme Ruiz est quelqu’un de très respectueux et qui connaît ses dossiers.

Y a-t-il selon vous une candidate des villes et un candidat des champs?

RR: J’ai déjà été candidate à des élections à l’échelon du canton et à chaque fois les résultats ont montré qu’il n’y avait pas de grandes différences entre la ville ou la campagne. Cela dit, je suis lausannoise bien sûr, cela fait 15 ans que je fais de la politique et les électeurs m’y connaissent bien…

PD: J’ai un parcours différent et j’ai pris d’autres chemins que la politique même si j’ai participé à la Constituante. Clairement je m’identifie à la partie campagnarde de notre canton, même si chaque fois que je passe dans une ville, qu’il s’agisse d’Yverdon de Lausanne ou de Nyon, je reçois un excellent accueil. Cela dit, en fonction des lieux de résidence de chacun d’entre nous, il est normal que les soutiens soient différents…

Vous vous présentez pour reprendre le siège de Pierre-Yves Maillard… Selon vous, quelle est sa principale réussite et quelle est son principal échec?

PD: Il aura incontestablement été un bon conseiller d’Etat qui aura bien défendu les intérêts de son bord politique, même si je ne suis pas d’accord avec bon nombre de ses actions notamment en ce qui concerne la gouvernance du CHUV et la gestion du dossier informatisé du patient. Sur cette dernière question, d’importantes économies sur les coûts de la santé auraient été possibles. Dans le fonctionnement général du Conseil d’Etat, il aura su trouver des majorités notamment grâce à son dialogue avec Pascal Broulis.

RR: Pierre-Yves Maillard a un bilan exceptionnel, dans la défense de toute la population et en particulier des Vaudois, pour une assurance-maladie plus juste, par exemple, dans la mise en place d’une politique sociale et sanitaire très pointue. Il y a aussi eu, dans la RIE III le volet social, l’instauration d’une rente-pont, le plafonnement à 10% des primes d’assurance-maladie, etc. Je serais très honorée de m’inscrire dans un tel héritage. Pour ma part, j’ai un style et un profil différents. Je sais que son approche très directive a pu parfois heurter une partie du personnel soignant, en particulier les médecins spécialistes.

Pascal Dessauges, qu’éprouve un candidat UDC à avoir comme concurrente au Conseil d’Etat une enfant d’immigrés ? Cela ne prouve-t-il pas que l’intégration des étrangers en Suisse fonctionne?

PD: Oui c’est vrai, et je n’ai aucun problème avec ça. Si Mme Ruiz est élue, elle sera totalement légitime.

Aujourd’hui, tout le monde est unanime pour dire que le canton va bien.

Quel serait selon vous le problème le plus urgent à régler pour le canton?

PD: Primo, si le canton est en bonne santé financière, c’est grâce à l’effort des communes et des contribuables, et ceux-ci devraient donc en profiter en retour. Enfin, l’explosion des coûts du social, + 40% entre 2003 et 2017, est un problème. Pour l’instant la bonne santé financière et économique du canton permet de l’absorber, mais qu’en sera-t-il quand les temps seront plus durs ? Comment ferons-nous dans ce cas pour venir en aide à ceux qui en auront le plus besoin?

RR: Evidemment, je ne partage pas du tout ce constat. Depuis plus de 10 ans, notre canton se porte bien, son dynamisme est reconnu par tous. Et pour moi il est juste que des mesures aient été mises en place pour que cette prospérité profite à tous ceux qui en ont besoin, les plus fragiles mais aussi les classes moyennes-supérieures avec des mesures fiscales en leur faveur. Le Conseil d’Etat a entendu les doléances de nombreuses communes et est entré en discussion sur les modalités de la péréquation financière. Il faudra juste veiller à ce que les communes riches continuent à assumer leur devoir de solidarité et on devra prendre en compte les besoins spécifiques des villes-centres. Pour ce qui est de l’aide sociale, le but est de faire baisser le nombre de bénéficiaires et ça tombe bien car les chiffres montrent qu’ils diminuent. Grâce aux mesures développées pour former et réinsérer les gens sur le marché du travail. Les autres dépenses sociales répondent aux besoins des personnes âgées, des personnes en situation de handicap. N’oublions d’ailleurs pas le vieillissement qui nécessitera de nouvelles prises en charge.

Et si la situation économique venait à se péjorer?

RR: C’est clair, il nous faudra être vigilant. Mais pour l’heure, nous avons les reins assez solides et je ne vois pas l’utilité de faire peur aux gens avec le discours selon lequel nous allons dans le mur.

PD: Je n’ai pas de tabou. Autant je suis favorable à venir en aide à ceux qui en ont besoin, personnes âgées, handicapées et/ou qui sont en situation problématique de manière momentanée, autant je suis hostile à des mesures sur le long terme.

Pascal Dessauges, le retour d’un UDC au Conseil d’Etat, ce serait une revanche ou la promesse d’une meilleure gouvernance pour le canton ?

PD: Avec 25 députés sur 150 au Grand Conseil, je pense que l’UDC a une légitimité certaine pour siéger au Conseil d’Etat. Avec mon expérience de préfet, mes compétences décisionnelles acquises dans mes activités professionnelles, militaires ou associatives, je pense pouvoir en outre apporter quelque chose au gouvernement et à son fonctionnement.

Rebecca Ruiz, que répondez-vous à ceux qui vous estiment trop jeune et sans expérience exécutive?

RR: Pierre-Yves Maillard a été élu au même âge que le mien, si je venais à être élue, et ni Pascal Broulis ni Philippe Leuba n’avaient une expérience exécutive au moment de leur élection au Conseil d’Etat. Ils font tous trois du bon travail !

Si vous étiez élus, quel projet souhaiteriez-vous porter en priorité?

PD: Sans aucun doute, permettre aux contribuables et aux communes de bénéficier de la santé financière du canton, via des baisses d’impôts. Ce ne serait qu’un juste retour des choses après les efforts qu’ils ont consentis depuis 15-20 ans.

RR: Si je devais reprendre l’action sociale, ma priorité serait le chômage des personnes de plus de 50 ans. Je réunirais les grands employeurs du canton pour voir ce qui peut être entrepris pour les maintenir en emploi. Cette problématique prend une nouvelle ampleur et il faudra agir.

Pascal Dessauges, plus on vous entend, plus on a le sentiment d’avoir affaire à un bon radical vaudois, plutôt qu’à un UDC!

PD: Mais je me sens tout à fait à l’aise avec ça! Dans mes jeunes années, c’est Mermoud qui m’a demandé de m’inscrire sur la liste pour la Constituante. Une fois élu, par égard pour les personnes qui m’avaient soutenu pour cette élection, je me suis affilié à l’UDC.

Pascal Dessauges, si Mme Ruiz venait à être élue, il y aurait une majorité de femmes au Conseil d’Etat…

PD: Là encore, cela ne me dérangerait pas du tout. Quand plus jeune j’avais déposé ma demande de qualification pour devenir officier, j’ai fait un travail sur la place des femmes dans la société, c’est vous dire… Cela étant, j’observe avec étonnement que dans la population certaines voix, et souvent féminines d’ailleurs, disent que ce serait peut-être trop…

Rebecca Ruiz, si Pascal Dessauges était élu, le Conseil d’Etat basculerait à droite…

RR: Clairement, cela bouleverserait les équilibres politiques actuels et surtout l’orientation de tout ce qui a été réalisé jusqu’à présent. La dynamique positive et redistributive actuelle, au profit de l’intérêt général et non au profit de certains secteurs serait remise en cause.

PD: Je tiens à rappeler qu’avec cette majorité de gauche, les dépenses en faveur de l’environnement ont baissé de 8%...

RR: Si on parle d’environnement, évoquons dans ce cas le fait qu’à Berne, UDC et PLR ont littéralement torpillé la loi en cours de discussion…

PD: En tout cas, au niveau de notre canton, mis à part les Assises sur le climat l’an passé, et le plan climat annoncé pour cette année, je n’ai pas observé une grande volonté d’agir…

Et si vous veniez à ne pas être élu, comment verriez-vous la suite ?

PD: Je pense qu’il y a toujours quelque chose à apprendre d’un échec, même si je suis confiant et espère être élu. Dans tous les cas, j’aurais pris beaucoup de plaisir à aller à la rencontre de la population, à débattre et à entendre les idées de l’autre bord politique. Dans tous les cas, sur le plan politique, je reste ouvert à tout…

RR: Bien sûr que je continuerai mon engagement, même en cas d’échec ! Cette campagne aura été une très riche expérience sur le plan politique et humain et quoi qu’il arrive j’en sortirai renforcée et endurcie… La suite si je n’étais pas élue, ce serait de continuer avec un immense plaisir ma mission au Conseil national, si les électeurs vaudois me maintenaient leur confiance bien sûr puisque pour ma part je n’ai pas la sécurité de l’emploi.

L’heure du choix a sonné, l'éditorial de Philippe Kottelat

Ce n’est, dans le fond, qu’une élection complémentaire, due au départ anticipé d’un des membres du Gouvernement appelé à d’autres fonctions. Mais elle est pourtant fichtrement importante. Parce que le ministre qui s’en va n’est pas n’importe qui. Qu’on aime...ou pas... Pierre-Yves Maillard, force est de constater qu’il avait une stature d’homme d’Etat et qu’il a réussi, durant son règne et avec l’aide d’autres, notamment de Pascal Broulis sur l’autre versant de l’échiquier politique, à instaurer ce fameux «compromis dynamique» qui fait que le canton de Vaud se porte plutôt bien et qu’il est tant jalousé par ses voisins.

Non, remplacer Pierre-Yves Maillard n’est pas chose facile. D’où l’âpreté de la campagne qui s’est déroulée ces dernières semaines. Elle fut dure dans les échanges, mais toujours respecteuse, et elle a surtout fait apparaître de belles personnalités. Comme Rebecca Ruiz , bien sûr, la grande favorite, qu’on sent prête à endosser la charge, elle qui en peu de temps a réussi à trouver sa place à Berne dans les travées du Conseil national. Ou Pascal Dessauges, son principal adversaire, moins médiatique certes, mais qui a su avec intelligence faire oublier les excès de certains de ses corréligionaires. Sans oublier le démocrate-chrétien Axel Marion, brillant, mais peinant parfois à défendre sa place au centre de l’échiquier politique, Anaïs Timofte, la nouvelle passionaria de la gauche et, bien sûr, son aîné Jean-Michel Dolivo, l’éternel révolutionnaire qui, jusqu’à sa mort, vouera aux gémonies toute politique néo-libérale.

La campagne fut belle. L’heure du choix a sonné. En n’oubliant jamais qu’au final, un exécutif ne fonctionne bien que s’il est capable de faire preuve de sens du dialogue, de pragmatisme et de combativité.