«Nous sommes passés de l’euphorie 
des JOJ à une ville fantôme!»

Depuis plusieurs semaines, la pandémie a durablement altéré nos vies quotidiennes et l’organisation de la société.
La Municipalité, elle aussi, a pris de plein fouet le choc du Covid 19, avant de s’adapter et se mettre en ordre de marche.
Le Syndic Grégoire Junod revient sur ces incroyables semaines et détaille les mesures prises en faveur des habitants de Lausanne.

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«Les dégâts sont considérables mais il y aura un après»

Lausanne Cités: Comment avez-vous vécu cette période depuis la mise en place des mesures de semi-confinement par le Conseil fédéral?
Grégoire Junod: Le choc a été brutal. Nous  avons tous dû en quelques jours profondément réorganiser nos vies familiales et professionnelles. Et nous inquiéter aussi pour nos proches, parents, grands-parents, personnes à risque, sans pouvoir les voir et les accompagner. A l’échelle lausannoise, nous avons basculé en quelques semaines de l’euphorie des Jeux olympiques de la jeunesse à une ville fantôme, vidée de ses habitants, de sa vie économique, culturelle et sportive. A titre personnel et comme syndic, ça a été un coup très dur. Aujourd’hui, toute mon énergie, comme celle de mes collègues, est à gérer la crise et à préparer l’avenir. Les dégâts seront considérables, mais heureusement, il y aura un après.

Quel regard portez-vous sur le comportement des Lausannois depuis le début de l’épidémie ?
Honnêtement, il a été exemplaire et respectueux des règles dans la grande majorité des cas. Il donne d’ailleurs raison au Conseil fédéral qui, mi-mars, n’a pas cédé à la pression – elle était pourtant très forte - en faveur d’un confinement plus sévère, préférant faire le choix de la confiance en nous laissant encore quelques petites parcelles de liberté. Les Lausannois en ont fait un bon usage, sans en abuser.

Comment la Municipalité  s’est-elle organisée durant cette période?
Depuis le début de la crise, nous siégeons en visioconférence à raison de deux séances par semaine. Ce n’est pas idéal, mais cela fonctionne. L’équipe est soudée et ça compte dans ces périodes de crise. Notre première priorité a consisté à réorganiser le travail de l’administration, à assurer les prestations qui devaient l’être, à mettre en place le télétravail et à veiller au respect des règles sanitaires pour ceux qui devaient se rendre sur leur lieu de travail. L’engagement de celles et ceux qui sont restés en première ligne dès le début de la crise est immense et nous ne pourrons jamais assez les en remercier: policiers, personnel des garderies, électriciens, protection civile, techniciens de réseau, téléphonistes, propreté urbaine, jardiniers, veilleurs, et j’en oublie beaucoup d’autres. Ils font la fierté de la Ville de Lausanne.

Quelles sont les mesures exceptionnelles que vous avez mises en place pour permettre à la population d’affronter au mieux cette période?
La Ville a été confrontée à trois problèmes majeurs. Le premier a concerné l’isolement des personnes âgées. Très tôt, nous avons mis en place une hotline puis un service de livraison des courses à domicile pour les personnes isolées se trouvant dans des situations à risque. Depuis la semaine dernière, la bibliothèque municipale livre aussi des livres. Le deuxième problème a été celui de l’accueil de jour des enfants où nous avons également assuré un accueil minimum pour les parents se trouvant dans l’impossibilité de faire autrement, en particulier pour le personnel d’urgence. Enfin, nous avons rapidement doublé nos structures d’hébergement d’urgence pour les sans-abris, afin de garantir un accueil 24/24 et respecter les règles sanitaires. Le projet a été développé en bonne intelligence avec le Canton et les associations partenaires.

Petits commerçants, cafés, restaurants, taxis et manifestations culturelles jouent leur survie dans cette crise. Que pouvez-vous faire pour eux aujourd’hui ?
Nous avons agi sur plusieurs plans. D’abord comme bailleur. Pour tous nos locataires qui ont un commerce ou un établissement public, nous avons renoncé aux loyers de mars et avril. C’est une mesure très forte. On attend aujourd’hui que les grands propriétaires privés en fassent autant! Nous avons également décidé de l’exonération de certaines taxes pour la restauration et les marchés. Dans le domaine culturel, nous avons maintenu l’entier de nos subventions, même pour des événements annulés. C’est vrai d’ailleurs aussi pour le sport. Nous avons aussi veillé à ce que les institutions culturelles honorent leurs contrats, afin de limiter les dégâts sur tous les acteurs de la chaîne culturelle. Enfin, nous avons demandé à nos institutions de continuer à honorer les salaires à 100%.

Combien vont coûter toutes ces mesures de soutien, au budget municipal?
Ça dépendra beaucoup de la durée de la crise et de son impact sur l’économie et l’emploi. C’est difficile d’articuler un chiffre précis à ce stade.

Dans ce contexte, les Lausannois doivent-ils se préparer à une augmentation future de la fiscalité ou bien à des coupes dans certaines prestations?
Il faut surtout s’attendre à une augmentation de l’endettement. Mais les Communes devront aussi être soutenues par le Canton. Le décalage entre les résultats financiers de l’Etat de Vaud et celui des Communes, notamment des Villes, n’est plus tenable. Un rééquilibrage est nécessaire, à défaut de quoi la crise économique à venir se doublera d’une crise institutionnelle. Pour ce qui est de la fiscalité, il n’y aura pas de hausse à Lausanne. Nous venons de présenter notre prochain arrêté d’imposition qui sera soumis au Conseil communal dès qu’il reprendra ses travaux. Nous proposons de maintenir le coefficient d’impôt inchangé.

Comment appréhendez-vous le déconfinement annoncé par les autorités fédérales?
Tout demeure encore assez flou à ce stade. Mais au moins voit-on une perspective de sortie de crise. C’était un signal nécessaire. Il y a toutefois des choses étonnantes: on va dès le 27 avril permettre aux grands magasins de rouvrir tous leurs rayons alors que les petits commerces devront attendre le 11 mai. Or ce sont bien les petits commerces qui souffrent le plus et qui ont besoin qu’on les soutienne.

L’épisode des stands dans les marchés ne montre-t-il pas que, dans le fond, la Ville n’a pas vraiment voix au chapitre sur la manière dont les choses vont se dérouler?
C’est sûr que l’essentiel des compétences est aujourd’hui aux mains de la Confédération. C’est normal. On ne peut gérer une crise de cette ampleur si chaque Canton et chaque Ville y va de sa petite musique. Pour ce qui est des marchés, je dois dire que je regrette beaucoup que le Canton ait décidé de les interdire, alors que le projet avait justement été monté en collaboration avec la police cantonale du commerce. Il s’agissait d’une trentaine de stands disséminés en ville.  Mais j’ai bon espoir que nous puissions trouver une solution. Comment en effet admettre qu’on laisse les supermarchés ouverts, où les règles sanitaires sont souvent difficiles à respecter, mais qu’on interdise aux petits producteurs locaux de travailler ?

A titre personnel, à quelle échéance voyez-vous un retour à la normale ? Dès l’été, plus tard ?
Franchement je n’en sais rien. Mais ne sous-estimons pas l’impact des mesures de semi-confinement, si elles devaient durer, notamment sur les personnes âgées, qui se retrouvent souvent isolées, et sur celles et ceux qui craignent de basculer dans la précarité, parce qu’ils ont perdu leur emploi ou une partie de leur revenu. La sortie de crise nécessitera des moyens importants. Il faudra aller au-delà de ce que la Confédération ou le Canton de Vaud ont annoncé. Nous devrons aussi prévoir des mesures pour la formation professionnelle. Si des jeunes doivent se retrouver cet été sans place d’apprentissage au sortir de l’école, nous irons au-devant de grandes difficultés.

Après ce que les gens viennent de vivre, estimez-vous que ce retour «à la normale» sera un retour au statu quo ante ou autre chose?
«Il ne faut pas gâcher une crise». La formule est de l’administration Obama au sortir de la crise de 2008. Espérons donc qu’on tirera des enseignements de la période actuelle pour favoriser une économie plus respectueuse du climat, favorisant aussi les circuits courts et une production locale. Lausanne s’y engagera.