«L’Europe doit devenir une grande Suisse»

Les 15 et 16 mars prochains, Bernard-Henri Lévy sera à Genève et à Lausanne.

Il se produira pour une escale suisse de sa pièce «Looking for Europe», jouée dans la plupart des grandes villes d’Europe.

Inquiet mais raisonnablement optimiste, le philosophe défend passionnément l’aventure européenne qu’il appelle à refonder, mais toujours sur son socle de valeurs humanistes.

  • Un monologue angoissé, une ode à l’Europe humaniste et libérale. DR

    Un monologue angoissé, une ode à l’Europe humaniste et libérale. DR

Le populisme est une insulte aux peuples!

L’Amérique a lâché l’Europe

L’Europe a mis fin à de nombreuses tyrannies

Lausanne Cités: Antisémitisme, homophobie, qu’arrive-t-il à l’Europe?

BHL: Il se trouve que les Européens ont été paresseux et n’ont pas fait le boulot. Ils ont trop longtemps eu le sentiment que l’Europe, inscrite dans le sens de l’Histoire, se ferait toute seule, par une sorte de nécessité providentielle. Or l’Histoire n’a que le sens que les hommes lui donnent…

Qui sont au juste ces Européens qui ont failli ?

Moi, vous, ses dirigeants, ses élites… L’Europe nous a permis d’en finir avec la guerre sur le continent, elle a mis fin à de nombreuses tyrannies… Sauf qu’il ne fallait pas baisser les bras et que le combat n’était pas terminé…

Votre tournée théâtrale dans toutes les grandes villes d’Europe sonne comme un appel aux peuples éclairés, au-delà des gouvernants… Mais beaucoup votent pour les populistes…

Justement, mon but est de leur expliquer que le populisme est une insulte aux peuples. Et je suis sûr qu’ils sont prêts à entendre cela dès lors que l’on se donne la peine d’engager un dialogue avec eux. L’image que les populistes donnent du peuple est humiliante… On frappe des journalistes, on vilipende des homosexuels, on fait le procès des élites et on s’attaque aux symboles de la République…

Toutes ces catégories que vous décrivez ne sont-elles pas les boucs émissaires d’un mal aux racines bien plus profondes?

Le rôle des gens à qui il reste un peu de sagesse est de tout faire pour empêcher que cette mécanique des boucs émissaires ne s’emballe et devienne folle. C’est pour cela que je n’entends surtout pas baisser les bras…

Vous, membre de l’élite si haïe par les populistes, êtes-vous le mieux placé pour cela?

Faire partie de l’élite n’est pas une maladie honteuse. Je suis fier de représenter l’élite républicaine, et contrairement à d’autres, je n’ai pas volé mes diplômes, je travaille et je n’ai à rougir de rien. Ce procès contre les élites est une infamie. Je rappelle en outre que les attaques contre le système, - que j’appelle à réformer mais pas à abattre -, sont un thème fasciste récurrent.

Tout de même, à l’origine de la contestation actuelle de l’Europe, n’y a-t-il pas aussi un net déficit démocratique au sein de l’UE?

Je suis d’accord. Et c’est bien pour cette raison que je m’engage pour que l’on aille à marche forcée vers une union politique européenne, dans laquelle chaque nation garderait d’ailleurs son identité. C’est la seule solution pour que l’on ne se fasse pas manger par Trump, Poutine, Erdogan ou les islamistes, qui ne rêvent que de cela. L’Europe au fond, doit devenir une grande Suisse pour entrer dans l’Histoire. C’est d’ailleurs ce que j’explique dans ma pièce.

La Suisse, justement. Nous avons refusé d’entrer dans l’Union, et aujourd’hui, beaucoup de gens s’en félicitent, devant la faillite actuelle de l’Europe…

C’est bien dommage. S’il y a bien un pays qui appartient à l’esprit de l’Europe, c’est la Suisse. J’ajoute que l’Europe n’est pas en faillite, elle peut, elle doit faire mieux et se chercher un second souffle, mais n’oublions pas qu’elle a empêché la Grèce de tomber dans les griffes de Poutine, l’Italie de partir dans le décor, etc. Elle a en outre imposé une saine discipline aux gouvernements, un frein à de nombreuses démagogies….

Se réformer, chercher un second souffle? A priori, elle n’en prend pas le chemin…

C’est bien pour cela que j’ai décidé de m’en mêler avec cette pièce. Les élections européennes qui arrivent (NDLR en mai prochain) sont absolument cruciales. L’Europe souffre aujourd’hui d’une impuissance collective due à la mauvaise passion des peuples pour le nationalisme. Ce qu’il nous faut, ce sont des Adenauer, des de Gaulle, Mitterrand ou Kohl pour ouvrir une brèche dans cette bêtise nationaliste qui ne cesse d’enfler.

A l’origine de votre spectacle on retrouve «Hôtel Europe», une pièce de colère écrite en 2014 pour le centenaire de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche à Sarajevo En sommes-nous au point où une petite étincelle pourrait tout faire flamber?

Hélas oui! Après la crise démocratique de 1914, celle des années 30, nous vivons actuellement un début de répétition d’un scénario macabre. J’espère que cette crise se terminera mieux.

Pilier de l’équilibre géopolitique depuis 1945, la relation transatlantique est de plus en plus mise à mal. Trump envisage même de sortir son pays de l’OTAN…

C’est clair, l’Amérique a lâché l’Europe et fait cause commune avec Poutine pour tenter de l’affaiblir. C’est une des catastrophes à laquelle nous devons faire face. Trump comme Poutine, et d’autres encore ont une haine de ce que représente l’Europe sur le plan culturel: les Lumières, l’Amour, le respect d’autrui, les relations hommes-femmes… Mais j’ai bon espoir que l’Amérique avec ses institutions, sa culture et sa tradition démocratique soit plus forte que Trump… Partout, les valeurs libérales finiront par gagner. Et j’entends bien engager toutes mes forces pour cela.

En attendant, Trump est là. Que peut faire l’Europe?

Impérativement se construire une politique étrangère et une politique de défense communes! Nous avons les moyens de nous défendre et d’avancer si nous ne tombons pas dans le piège que tendent des personnes comme Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen pour ne citer que la France. Car une seule chose est sûre: aucun pays n’y arrivera tout seul !

Autre problème: la remise en cause des valeurs démocratiques en Occident, leur cœur historique, sonne comme un blanc-seing pour tous les dictateurs du monde

Les démocraties illibérales sont clairement un échec pour l’Union européenne qui aurait dû être plus dure vis-à-vis d’elle, en leur signifiant clairement la ligne rouge à ne pas dépasser. Nous avons des valeurs à défendre.

Pourquoi depuis une trentaine d’années, avons-nous eu tant de mal à porter l’étendard de ces valeurs ?

Parce que nous avons sombré dans le piège de ce que l’on appelle «relativisme culturel». Car non, toutes les cultures ne se valent pas. L’égalité homme-femme, le droit de se moquer des religions, entre autres, ne peuvent pas être mis sur le même plan que d’autres «valeurs». Tout cela était parti d’une bonne intention, mais notre tolérance est devenue folle, dans un mécanisme cancérigène délétère.

Après cette tournée européenne, le troisième axe de votre démarche sera la mise en place d’une plate-forme, comme un cahier de doléances en ligne. Cette plate-forme n’est-elle pas redondante avec le grand débat lancé par Emmanuel Macron?

Oui, et c’est tant mieux. La plate-forme va permettre à tous les eurosceptiques de probité de poser leurs questions et, j’espère, d’y obtenir des réponses. Il nous faut toujours écouter davantage, c’est cela la démocratie, et mon rôle d’intellectuel est de faire en sorte que les gens s’écoutent plus et mieux.

En France, la dernière fois que l’on a convoqué des Etats généraux cela s’est plutôt mal terminé. N’y a-t-il pas un risque d’ouvrir la boîte de Pandore?

Pas du tout! Les Etats généraux, c’était des doléances adressées à un pouvoir absolu. Ici nous sommes dans un dialogue entre la population et un pouvoir élu démocratiquement...

Looking for Europe, le 16 mars à 20h à la Salle Métropole, Lausanne.

Rens. www.livemusic.ch