L’éternel blues des pères divorcés

A Lausanne, 309 couples ont divorcé en 2017. Cette situation n’est pas indolore avec des pères rarement épargnés au fil de la procédure.
Trois hommes témoignent des injustices ressenties lors de ces séparations difficiles.
Une manière de s’en sortir consiste à assumer sa responsabilité dans l’échec familial et à transmuer sa souffrance en sagesse.

  • Malgré l’évolution du droit, nombre de pères divorcés continuent de se sentir lésés par la Justice. 1,2,3 RF

    Malgré l’évolution du droit, nombre de pères divorcés continuent de se sentir lésés par la Justice. 1,2,3 RF

«A l’heure de ’’Me too’’, force est de constater que lors de ces séparations, ce sont plutôt des hommes qui sont victimes de discriminations!»

Julien Dura, Père divorcé et porte-parole du MCPV.

En 2017, 309 couples lausannois ont divorcé. Parmi eux, 124 avaient au moins un enfant mineur. La chose est si courante qu’on se raconte parfois qu’elle est banale. Quasiment indolore. Il n’en est rien. Les pères ont plus que leur part de cette souffrance. «Et à l’heure où «@me too» a mis en lumière les violences et injustices faites à certaines femmes, force est de constater que lors de ces séparations, ce sont plutôt des hommes qui sont victimes de discriminations!» Ce constat est de Julien Dura, porte-parole du Mouvement de la condition paternelle vaudois (MCPV). Selon ce militant, la justice est trop souvent engluée dans une vision éculée selon laquelle Madame doit avoir la garde des enfants par principe quand Monsieur est prié de sagement se satisfaire d’un rôle de pourvoyeur-payeur. «Son droit à la relation avec son enfant est occulté! Paradoxalement, cette vision patriarcale de la famille profite aux femmes, alors que tant de féministes la dénoncent dans d’autres circonstances!»

Une justice orientée pro-mère?

«Cela change doucement notamment depuis l’entrée en vigueur de l’autorité parentale conjointe en 2014, mais le plus souvent la tendance est encore initialement de favoriser la mère au détriment du père», confirme Me Véronique Fontana qui se penche souvent sur ce genre d’affaires. Lorenzo Fodde, un des clients de l’avocate lausannoise, acquiesce tristement. «Pour finalement obtenir la garde partagée de mes enfants de 8 et 12 ans, ça a été la bataille navale et trois ans de procédures!» explique ce postier de 50 ans en tapotant sur les sept classeurs fédéraux composant son dossier. Pour y parvenir, il a dû accepter de faire plus qu’à son tour le poing dans sa poche, puis de s’installer dans le canton de son ex-femme. Cela lui a fait perdre 800 francs de salaire mensuel. La juge, qui l’y avait incité, n’a pourtant pas jugé utile ensuite de revoir à la baisse le montant de la contribution d’entretien, versé à sa femme! «Je suis tombé sous le minimum vital. Sans le soutien de ma compagne, je ne sais pas comment j’aurais fait, lâche le solide gaillard, les larmes aux yeux. Ma dignité d’homme en a été affectée!»

«Une séparation, ça fait souvent deux pauvres» entend-on parfois. Nicolas Ballarin confirme. Avant de quitter la «mère de [son] bonhomme», ce papa de 42 ans n’avait jamais eu de souci financier. L’accident du travail et la perte d’emploi, ayant suivi sa séparation, a changé la donne. Aujourd’hui, il ne peut honorer la «pension» convenue avec son ex-compagne. Résultat: celle-ci a décidé unilatéralement du jour au lendemain que la garde partagée convenue entre eux, n’a plus cours. «Je ne vois mon fils de 7 ans qu’un week-end sur deux et nos adieux sont devenus difficiles à gérer émotionnellement!» Les deux parents n’étant pas mariés, ils ne sont liés que par une déclaration d’autorité parentale conjointe. De conciliations stériles en interminables visites chez le pédopsy, leur situation empire. Le quadragénaire n’a pas fait le choix de se tourner vers un avocat via l’assistance judiciaire. Les témoignages effarants entendus lors des soirées «Papa Contact», organisées à Lausanne chaque deuxième lundi du mois par le MCPV, pourraient l’y pousser.

Comme un criminel

Là, il y a notamment un jeune papa, qui en est réduit à voir son fils en bas âge, quelques heures seulement une fois par mois dans des locaux neutres et sous la supervision d’une professionnelle. Qu’a-t-il fait pour mériter ce traitement digne d’un criminel? Il a haussé la voix face à son ex-compagne et est caricaturé depuis par cette dernière et par la Justice comme une personne violente. «Et puis il y a aussi parfois les fausses accusations de violences physiques ou d’abus sexuels qui, si elles ne sont fort heureusement pas la norme, existent bel et bien, relève Julien Dura.

Au final, même dans des cas plus apaisés, que les parents en soient conscients ou non, leur progéniture trinque. Dans un contexte de séparation, épargner toute souffrance, toute culpabilité ou tout conflit de loyauté à ses enfants relève de la naïveté coupable. Julien Dura n’a aujourd’hui plus aucun contact avec son fils de 26 ans, né d’un premier mariage. C’est un crève-cœur pour lui et il est probable que cela n’ait pas aidé le jeune homme en question à se construire.

Les mineurs n’ont pas la capacité et la force de prendre du recul sur leur situation. Bien peu de leurs parents d’ailleurs y parviennent même si leur corps vient parfois les y inciter en déclenchant une maladie comme cela est arrivé à Lorenzo Fodde. Toute souffrance regardée en face et intégrée se dissout et se transforme en sagesse. Une séparation difficile constitue une occasion idéale de s’essayer à cette très exigeante alchimie. Nicolas Ballarin semble l’avoir fait. L’échec de son couple l’a contraint à une introspection profonde. Aujourd’hui, l’ex-Lausannois a compris quelles blessures d’enfance l’avaient poussé vers la mère de son enfant et aussi ce qui en lui avait attiré cette dernière. Il est possible qu’assumer ainsi sa part de responsabilité lui épargne l’enfer vécu par d’autres. Laurent Grabet

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