Les zones foraines sont-elles un no man’s land lausannois?

Depuis des années, les habitants des zones foraines déplorent la «désertification» de leurs quartiers.
Peu peuplées, ces zones représentent près de la moitié du territoire communal pour à peine 3000 habitants.
Un conseiller communal propose une solution iconoclaste: faire scission et créer une commune indépendante de Lausanne.

  • Les habitants des zones foraines lausannoises, comme à Montheron, se plaignent du manque d’attention que leur portent les autorités. VERISSIMO

    Les habitants des zones foraines lausannoises, comme à Montheron, se plaignent du manque d’attention que leur portent les autorités. VERISSIMO

«En aucun cas nous ne considérons les zones foraines comme le parent pauvre de la ville»

Grégoire Junod, Syndic de Lausanne

«Oui, c’est vrai, j’ai l’impression que nous sommes les parents pauvres de Lausanne. Depuis des années, cette partie de la ville se meurt à petit feu, dans l’indifférence générale». Pour cette habitante de Vers-chez-les-Blanc, le constat est implacable: ce que l’on appelle les zones foraines de la ville et qui représentent près de la moitié du territoire communal seraient les grandes oubliées de la politique municipale. Très peu peuplées, à peine 3% de la population, elles regroupent pour l’essentiel trois secteurs: Les Râpes, Montheron et Vernand, soit 4000 habitants.

Et c’est vrai que dans cette zone-là, les mauvaises nouvelles ont été légion au cours des dernières années: fermeture des offices de poste du Chalet-à-Gobet et plus récemment de Vers-chez-les-Blanc - qui a aussi perdu son poste de police en 2003-, raréfaction des petits commerces de proximité, trafic de transit important.

Des Lausannois comme les autres?

Une situation qui a fait sortir de ses gonds le conseiller communal PLC Nicola Di Giulio qui vit au Chalet-à-Gobet depuis de longues années. «Les habitants de ces zones sont-ils des Lausannois comme les autres? Ne méritent-ils pas que l’on prenne en compte leurs préoccupations? s’insurge-t-il.

Et d’ajouter: «Beaucoup d’habitants m’ont approché pour me faire part de leur insatisfaction notable, explique-t-il. Et je dois convenir qu’ils ont raison, car le sentiment d’être délaissés trouve ses racines dans des faits incontestables. Des zones commerciales et des espaces de jeux quasi-inexistants, les postes qui ferment, le trafic de transit qui va encore s’amplifier avec la route de Berne qui passera à une seule voie, etc.»

Un constat que le syndic Grégoire Junod dit comprendre mais ne partage pas, faisant appel aux spécificités de la zone: «Je peux donc comprendre en partie ce sentiment d’être parfois délaissé. Vers-chez-les-Blanc par exemple est un quartier unique. Il est éloigné du centre, donc moins bien desservi en transports publics et confronté aussi à du trafic de transit. Comme c’est une zone résidentielle, bien moins peuplée qu’un quartier urbain, il est aussi plus dur d’y faire vivre du commerce. En même temps, il offre une qualité de vie exceptionnelle avec un cadre splendide et une nature préservée. Et le blocage des zones à bâtir garantit que ces qualités seront préservées à long terme.»

Et puis surtout, la Municipalité rejette en bloc les accusations d’avoir délaissé les zones foraines. Elle s’est ainsi il est vrai, longtemps battue contre la suppression de l’office de poste de Vers-chez-les-Blanc, en vain, la Poste demeurant là-bas comme partout ailleurs, intransigeante sur la question. La salle de gymnastique dont les habitants réclamaient de longue date la rénovation, verra également des travaux d’envergure démarrer dès l’année prochaine.

«En aucun cas nous ne considérons les zones foraines comme le parent pauvre de la ville. Nous avons d’ailleurs des relations régulières avec l’association de quartier, que ce soit au niveau de la Municipalité ou des services de la Ville. Tout au long de l’année, nous faisons le maximum pour être à l’écoute et pour répondre aux demandes du quartier et de son association» précise le Syndic.

Transports plus chers

Deux autres facteurs suscitent également l’ire des habitants du quartier. Le prix du ticket de bus plus cher que dans le reste de la ville qui dépend de la communauté tarifaire Mobilis, mais aussi et surtout la réduction des zones à bâtir imposée par le droit fédéral (LAT), et qui conduit de nombreux propriétaires à ne pas pouvoir disposer de leur terrain à leur guise: «Là également, soutient Grégoire Junod, je me suis personnellement engagé auprès du Canton pour défendre les intérêts des propriétaires touchés et éviter, dans des cas limite, que la loi ne soit appliquée de manière trop rigide».

Pour le conseiller communal Nicola Di Giulio, l’ensemble de ces problèmes pourraient être résolus si les zones foraines… faisaient scission: «Nous sommes près de 4000 habitants souligne-t-il non sans malice. On peut donc tout à fait créer une petite commune, ce serait tout à fait viable économiquement et les habitants pourraient eux-mêmes défendre leurs propres intérêts».

L’alleingang qui cache la forêt, l'éditorial de Charaf Abdessemed

C’est un peu une boutade, mais elle jette un pavé dans la mare. Et si les zones foraines s’affranchissaient de Lausanne pour devenir une commune indépendante capable de lever l’impôt, gérer ses propres affaires et garantir le bien être de ses (futurs) administrés? Telle est la proposition iconoclaste d’un conseiller communal soucieux d’attirer l’attention sur la situation de ces zones très étendues géographiquement, mais fort peu peuplées.

Evidemment, la proposition est irréaliste à l’heure où toutes les communes de Suisse sont engagées dans de complexes et interminables processus de fusion destinés à leur permettre d’attendre la masse critique qui justement leur permettrait de mieux répondre aux besoins de leur population, tout en pesant davantage face aux interlocuteurs cantonaux et même fédéraux. Autant dire que dans ce domaine-là, comme dans bien d’autres, l’alleingang n’est pas porteur d’avenir.

Sauf que la provocation, comme souvent, est révélatrice d’une réalité: à tort ou à raison, les habitants des zones foraines éprouvent un sentiment d’abandon, dont la Municipalité n’est pas la responsable, mais emblématique de la progressive et indéniable désertification que connaissent les zones périphériques: fermeture des bureaux de postes et des postes de police tous deux si importants dans notre symbolique collective, raréfaction des commerces de proximité et renchérissement des transports publics.

A l’aube des élections municipales, ces doléances-là méritent d’être entendues et prises en charge par les collectivités publiques, qui hélas ne peuvent le plus souvent que constater leur impuissance face aux forces du marché.