Lausanne Cités: Avec la pandémie, le CHUV a dû faire face à une crise sanitaire majeure à laquelle personne n’était préparé. Quelles leçons en tirez-vous, avec le recul?
Philippe Eckert: Ce que j’ai appris, c’est que faire des plans c’est bien, mais cela ne suffit pas. Les plans clés en main, cela fonctionne pour des situations de catastrophe, comme les incendies, les accidents de grande ampleur, etc. Pour une crise comme celle du Covid, ce qui compte c’est d’avoir des structures de conduite et une organisation que l’on peut adapter selon l’évolution de la situation.
Concrètement, cela veut dire quoi?
Au début de la crise, l’urgence était d’avoir des lits en soins intensifs et des soignants pour prendre en charge les patients. Au bout d’une année, le problème, c’était plutôt les lits d’étage. Sans structure de conduite efficace il aurait été impossible de s’adapter à cette situation en perpétuelle évolution. Pour résumer, je pense que nous n’avons pas fait d’erreurs majeures, car on a justement adapté notre dispositif en fonction des réalités du terrain et des connaissances scientifiques.
Les hôpitaux universitaires ont supporté 40% de la charge liée au Covid. Etait-ce normal?
Franchement, tout le monde a joué le jeu, aussi bien les hôpitaux universitaires ou régionaux que les cliniques. Mais il est vrai que, totalement mobilisé, notre hôpital est celui qui a enregistré le plus de report d’interventions, alors que d’autres structures ont pu continuer à en faire. Mais en tant qu’établissement universitaire public, il nous appartient de jouer notre rôle en temps de crise.
Le report d’interventions lié au Covid est-il aujourd’hui résorbé?
En janvier dernier, nous en étions à 900 interventions reportées, aujourd’hui nous en avons entre 200 et 300 et j’ai bon espoir que tout aura été résorbé d’ici l’automne. La pandémie a laissé des traces, sur les interventions bien sûr, mais aussi sur le personnel soignant, qui malgré toutes les mesures d’accompagnement et de soutien que nous avons mises en place, reste marqué par la fatigue voire l’épuisement.
La pandémie a-t-elle aussi eu des conséquences financières pour le CHUV?
L’Etat a compensé nos pertes pour les années 2020 et 2021, en prenant pour référence notre activité de 2019. Mais comme nos charges ont continué à augmenter depuis le début de la pandémie et que notre croissance a marqué un temps d’arrêt, nous observons un écart qui nous incite à maximiser notre efficience.
Efficience, c’est un mot qui fait peur aux collaborateurs car il signifie plus d’efforts pour le même salaire…
Pas du tout: être efficient, c’est garantir notre capacité à prendre en charge le patient sur les plans médical et administratif, tout en nous assurant d’utiliser au mieux nos moyens. Cette efficience ne peut d’ailleurs venir que des acteurs qui sont sur le terrain, elle est donc réfléchie avec eux. J’ajoute qu’efficience ne veut pas dire restriction: il peut s’agir par exemple de recruter des assistants pour permettre à des collaborateurs de se consacrer réellement à leur domaine d’expertise.
De nombreuses manifestations et grèves ont marqué le mécontentement du personnel. Va-t-on vers un apaisement?
Nous avons des réunions régulières avec la commission du personnel et les partenaires sociaux, sous l’égide de la conseillère d’Etat. Ces différents acteurs ont donc pu prendre connaissance des mesures que l’on a engagées pour améliorer les conditions de travail des collaborateurs et que l’on continue à mettre en place. Par ailleurs, nous encourageons nos employés à nous transmettre leurs constats sur le terrain ou à nous proposer des pistes ou des solutions pour améliorer la situation. Enfin, grâce à une communication interne plus directe avec le personnel, que la direction rencontre dans différentes séances, nous souhaitons établir un climat de confiance durable.
Signe de malaise, de nombreux services sont marqués par un important absentéisme…
C’est vrai, ce sont des signaux d’alerte auxquels nous sommes très attentifs. Ils concernent surtout les secteurs les plus touchés par la crise, comme par exemple le bloc opératoire et bien sûr les soins intensifs. Là aussi, nous avons adopté de nombreuses mesures institutionnelles d’amélioration, comme par exemple une augmentation significative du nombre de places en crèche ou une systématisation de l’accompagnement du personnel lorsqu’il reprend son activité professionnelle après une absence…
D’autres services, font face quant à eux à un important problème de pénurie de personnel… Comment pensez-vous y remédier?
Certaines décisions comme par exemple la formation du personnel, ne dépendent pas du CHUV, mais de l’autorité politique. De notre côté, notre tâche principale est d’œuvrer pour rester attractifs et fidéliser les collaborateurs, et c’est ce que nous faisons avec toutes les mesures mises en place pour les accompagner. Notez cependant que cette pénurie n’est pas généralisée mais concerne certains secteurs particuliers, comme la pédiatrie ou le bloc opératoire…
Au vu de l’ampleur de la tâche, n'avez-vous pas parfois le sentiment d’écoper la cale d’un bateau qui sans cesse prend l’eau?
Pas du tout! En temps de crise et par la force des choses, on évolue avec les événements. Mais d’une manière générale, nous fonctionnons sur l’anticipation et la mise en place de mesures préventives. Ainsi, avec les années, nous sommes devenus plus attentifs au management des équipes, tout en veillant à soutenir les managers eux-mêmes par des formations appropriées. En réalité, plus on travaille avec des mesures en amont pour accompagner l’évolution très rapide du monde de la santé, moins on a besoin de jouer aux pompiers.
De plus en plus d’établissements hospitaliers sont l’objet de piratages informatiques massifs. Les données des patients vaudois sont-elles en sécurité ?
Le CHUV a pris les dispositions pour faire face à ce type de menaces. On a renforcé notre sécurité informatique et nous sommes en contact permanent avec la Direction générale du numérique et des systèmes d'information pour ces questions de sécurité. Le risque est présent, on fait au mieux pour le prévenir, même si on ne peut jamais le réduire à zéro!