La contre-attaque s'organise contre l'écriture inclusive

FRONDE • La conférence intercantonale de l’instruction publique enjoint à «rectifier» l’orthographe dès 2023. Parallèlement, l’écriture inclusive n’en finit pas de gagner du terrain au forceps, tout en divisant. Mais le vent tourne et une initiative populaire pour interdire son usage sera lancée le 30 octobre.

«L’écriture inclusive déforme la langue et donc la pensée»

Aurèle Challet, président de la section suisse de Défense de la langue française

«La langue française subit de violentes attaques ayant tout à voir avec la guerre idéologique et rien avec l’amour des mots!» s’indigne Aurèle Challet, président de la section suisse de Défense de la langue française (DLF). En juin, la conférence intercantonale de l’instruction publique de Suisse romande décrétait unilatéralement et sans aucune concertation, que dès 2023, une «orthographe rectifiée» serait utilisée pour faciliter l’apprentissage du français dans les écoles romandes. L’organisation prônait au passage l’emploi de l’écriture épicène. «En parallèle de ce nivelage par le bas, l’écriture dite «inclusive» qui au final n’en finit pas de diviser, avec ses anglicismes maquillés, ses néologismes effarants et ses illisibles et imprononçables points médians, gagne du terrain en appauvrissant et déformant dangereusement la langue et donc la pensée, exactement comme dans 1984 d’Orwell», déplore Aurèle Challet.

Nombre d’administrations l’utilisent déjà à l’instar de l’Etat de Vaud ou de la Ville de Genève. Nos confrères du Courrier et de la RTS font de même depuis l’hiver passé. «Sans doute sont-ils persuadés d’être eux aussi du bon côté du progressisme», relève le président de la section suisse de DLF. Pourtant, l’Académie française, seule institution légitime à fixer les canons du français, condamne l’écriture inclusive, rappelle Simone de Montmollin. La conseillère nationale PLR genevoise est cosignataire de la motion «Le respect des règles de la langue française prime sur l’idéologie». «Si chaque région se met à décréter unilatéralement les évolutions du langage qu’elle juge nécessaire, c’est la cacophonie. La langue ne peut s’adapter à chaque situation personnelle. Cela souligne la différence de chacun plutôt que l’universel qui nous unit», analyse la Lausannoise de naissance.

Résistance

Mais la résistance s’organise. Une pétition en ligne a été lancée contre l’orthographe rectifiée. Ce mois-ci, une initiative visant à interdire l’écriture inclusive en Suisse sera lancée par la section suisse de DLF. En parallèle, un livre blanc sur l’évolution de la langue française, écrit en collaboration avec des étudiants de l’Université de Genève, sera publié. «Réunir 150’000 signatures, en 18 mois, ne devrait pas être trop difficile pour sauver le français académique et éviter de construire un nouvel idiome. Tant de citoyens en ont assez de ces manques de respect à notre langue par un charabia de mots imprononçables et illisibles, pour la culture française et qui n’aident en rien la cause des femmes contrairement à ce que prétendent sournoisement leurs promoteurs!» constate Aurèle Challet.

«Terrorisme intellectuel»?

Pas dupe des visées sous-tendant ces changements souvent imposés d’en haut sans consultation, fin juin, la Chancellerie fédérale proscrivait l’utilisation des astérisques et des points médians. Sa décision avait suscité des accusations de «réveiller les gardiens du patriarcat». «Ces critiques relèvent d’un terrorisme intellectuel de plus en plus décomplexé», dénonce Aurèle Challet pour qui «ces volontés d’atrophier le français relèvent de la cancel culture et d’une dictature des minorités importées des Etats-Unis». Mais certains élus s’affranchissent des adjectifs peu flatteurs en «phobe» et «iste» que leur collent leurs opposants pour tuer dans l’œuf tout débat. Début septembre, le Conseil d’Etat valaisan interdisait ainsi d’utiliser l’écriture inclusive dans tous les textes de l’administration cantonale. Décision identique prise par le Jura et Genève dans la foulée... Le vent serait-il en train de tourner? «C’est possible mais il sera malheureusement difficile d’arrêter le train en marche car cette volonté de changer le réel par le langage, qui pourtant appartient au peuple, au nom d’une caricature de l’égalité, ne date pas d’hier et est redoutablement efficace!», conclut pessimiste le conseiller national UDC genevois Yves Nidegger.

«Remettre en question des évidences qui n’en sont pas!»

Stéphanie Pahud travaille à un ouvrage collectif sur l’écriture rectifiée. La linguiste de l’Université de Lausanne constate que «ces 14 propositions pour la plupart mineures réveillent des réticences idéologiques ou affectives». La professionnelle rappelle que la langue évolue avec le temps et les usages. Elle ne valide «ni les fantasmes de simplification ni l’affolement face à ce qui serait un nivellement par le bas» que certains opposants de l’«orthographe rectifiée» dénoncent. La quadragénaire y voit plutôt un «gain en cohérence». Pour ce qui est d’une écriture inclusive, sur laquelle ses collègues sont très partagés, la linguiste souligne «qu’elle poursuit un objectif louable et partagé par beaucoup sur le principe: celui de pouvoir communiquer sans laisser personne de côté». Dans les faits, elle constate que sa mise en œuvre via l’utilisation de points-médians, «l’ajout d’un x pour sortir de la binarité» voire l’hypothétique mise en place d’un pronom neutre, comme l’a fait la Suède, est clivant. La Lausannoise préfère «voir dans ces évolutions une opportunité de réfléchir à nos représentations de la langue mais aussi des sexes et des genres et à remettre en question des évidences qui n’en sont pas».

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Toutes les études le prouvent, la multiplication des marques orthographiques et syntaxiques représente un obstacle majeur à la lecture. En voici un exemple, en écriture inclusive: «Celleux, professeur·es de français ou étudiant·es, qui ne sont pas gêné·es par ces point·es médian·es sont peu nombreux·ses.» Malgré l’évidente illisibilité d’une telle phrase, les chantres du supposé progressisme tentent d’imposer par tous les moyens cette nouvelle manière d’écrire.

Mais que l’on ne s’y trompe pas, qu’elle soit épicène, inclusive ou rectifiée, l’orthographe promue par les mouvements militants ne dit pas son nom. Il ne s’agit en aucun cas de favoriser l’égalité des sexes, mais au contraire de réécrire par la force le monde dans lequel nous vivons. Et quel meilleur outil que l’orthographe pour y parvenir?

Si cette politisation du langage a toute sa place dans les procès-verbaux des associations de défense des minorités, elle n’a rien à faire dans les communications de l’administration vaudoise et encore moinsà l’école. Ce qui ne signifie pas que la langue française ne peut évoluer, elle l’a toujours fait depuis des siècles. Mais quand une supposée évolution s’apparente à une évidente régression, il convient de s’y opposer avec fermeté.