La CGN se mouille pour l’énergie hybride

La CGN s’apprête à mettre en service 2 bateaux hybrides diesel/électricité entre Lausanne et la France.
Un trajet en bateau générera 30 fois moins de CO2 qu’en voiture individuelle.
La démarche n’est qu’un prélude au passage, dès que possible, au tout-électrique.

  • Assemblés à Ouchy, les 2 navires, identiques, consommeront 40% de moins d’énergie que les bateaux actuels. DR

    Assemblés à Ouchy, les 2 navires, identiques, consommeront 40% de moins d’énergie que les bateaux actuels. DR

«Le transport lacustre est loin d’avoir accompli tout son potentiel»

Andreas Bergmann, directeur général de la CGN

Clairement, il n’y a pas que la voiture. Le transport fluvial et lacustre entend lui aussi prendre le tournant de la transition énergétique. L’Office fédéral des transports a ainsi lancé une étude de faisabilité, dont les résultats sont attendus pour la fin de l’année, afin de «concevoir un bateau de transport public innovant», innovant voulant dire ici propre et écolo.

Impliquée dans cette étude, la CGN n’a pas attendu Berne pour avancer. D’ores et déjà, elle a commandé deux bateaux à propulsion hybride électrique/diesel, des navires en cours de construction et livrables en 2022 et 2023, le premier bateau assurant la liaison Lausanne Evian, le second reliant Lausanne et Thonon ainsi que Nyon et Yvoire.

Réduire l’empreinte écologique

«Notre ambition est de réduire l’ensemble de notre empreinte écologique, explique Andreas Bergmann, patron de la Compagnie générale de navigation. En 150 ans d’activité, nous avons acquis une grande sensibilité au bassin lémanique et il est évidemment de notre intérêt de le préserver, d’autant que le transport public lacustre connaît une très grande croissance depuis 10 ans.

Actuellement, la flotte de la CGN émet 11760 tonnes de CO2 par an, mais vise à moyen/long terme la neutralité carbone, une stratégie dans laquelle s’inscrit la mise en service des deux futurs bateaux hybrides, assemblés à Ouchy alors que les composants seront acheminés par la mer depuis les chantiers navals de Gdansk en Pologne jusqu’à Bâle, puis par la route jusqu’à Lausanne.

Label Navi Express

Identiques, les deux navires - dont le nom reste à trouver - seront exploités selon le label Navi Express. Dès la mise en service du premier, la CGN doublera le nombre de places assises en heures de pointe entre Lausanne et Evian avec une fréquence à 45 minutes contre 1 heure 20 aujourd’hui, sans compter un temps d’embarquement et de débarquement réduit à 3 minutes. Avec en sus, une consommation énergétique réduite de 40 % par rapport aux unités actuelles.

«On estime la part de marché actuelle de la CGN à 25%, évalue Andreas Bergmann, ce qui veut dire que les 3/4 des frontaliers viennent actuellement en voiture. C’est dire s’il y a encore un grand potentiel en termes de réduction d’émission de CO2. Il suffit de regarder Oslo, Istanbul, ou San Francisco pour se rendre compte du potentiel de transport lacustre».

Fabriquées à Yverdon, les batteries qui équiperont les deux navires seront en lithium-ion et réparties en 4 bancs d’une capacité totale stockée de 600 kWh. Rechargées à quai pendant la nuit et durant la traversée lorsque les moteurs diesel seront en marche, elles permettront de faire fonctionner le navire en mode entièrement électrique à proximité des côtes afin d’éliminer émissions nocives et nuisances sonores.

Le choix d’une propulsion hybride électricité/diesel s’explique quant à lui par les contraintes d’exploitation des liaisons lacustres.

Adaptables dans le futur

«Avec des navires fonctionnant de 5 heures du matin à 23 heures, des cadences accélérées et un retournement dans les gares lacustres inférieur à 5 minutes, il était limite d’avoir recours à des batteries pures rappelle Andreas Bergmann. Notre choix s’est donc porté sur du mixte diesel-électrique, car il a fait ses preuves dans des contextes similaires, avec une technologie mature qui permettra d’assurer un service fiable». Bonne nouvelle cependant pour les puristes: les bateaux actuellement en cours de construction sont compatibles avec les technologies futures et pourront être dotés de propulsion zéro émission dès qu’une technologie fiable sera disponible.

Des navires à 30 millions pièce

D’un coût de près de 30 millions de francs chacun, dotés d’une capacité de 700 places, d’une coque en aluminium, d’hélices innovantes et de panneaux solaires, les deux nouveaux bateaux de la CGN sont fabriqués par le chantier naval suisse Shiptec, dont le siège est à Lucerne. Afin de financer leur construction, la CGN a contracté un premier emprunt privé de type obligataire de 30 millions pour une durée de 36 ans à un taux de... 0.35% par an. La seconde tranche, d’un montant de 30.6 millions, est en cours de réalisation et sera bouclée d’ici la fin de l’année, les deux emprunts étant garantis par la Confédération.

De l’art des petits pas... L'éditorial de Charaf Abdessemed

Dans l’art de réformer et d’avancer vers un objectif, deux méthodes ancestrales s’opposent. Passer à la hussarde, et espérer obtenir un résultat brutal - cela s’appelle une révolution - ou alors adopter une politique des petits pas qui, à terme, permet d’atteindre l’objectif escompté. Pour certains, en matière d’urgence climatique, les choses ne vont pas assez vite, alors que pour reprendre la célèbre et très juste expression de Jacques Chirac, «Notre maison brûle et nous regardons ailleurs».

Sauf qu’au-delà d’un indispensable volontarisme des pouvoirs publics, qui de plus en plus fait consensus dans la totalité de la classe politique, la transition écologique reste tributaire des progrès technologiques. Bien évidemment, la modification de nos comportements dans le sens de la préservation de l’environnement représente un premier et puissant gisement de réduction de notre empreinte carbone. Mais à terme, ne serait-ce qu’en raison de la croissance démographique planétaire, ne pas miser sur les progrès technologiques serait insensé, quoi que puissent en penser les décroissants à tous crins.

Faut-il dans cette perspective, attendre que ceux-ci soient technologiquement matures? Sans aucun doute non, et chaque fois qu’une avancée si minime soit-elle est disponible, il faut s‘en saisir. C’est ce que fait très justement la CGN avec son recours imminent à des bateaux à énergie hybride diesel/électrique dont les performances n’égaleront certes pas celles du 100 % électrique mais qui sont plus qu’honorables et surtout très prometteuses (lire article ci-contre). A cette aune, l’exemple de la CGN montre à quel point le monde de l’entreprise consent des efforts méritoires en faisant preuve d’une incontestable « adaptabilité écologique».