Initiative «anti-burqa»: les Suissesses musulmanes discrètes

Ce dimanche 7 mars, les Suisses sont appelés à se prononcer sur une initiative dite «anti-burqa» visant à interdire de se dissimuler le visage dans l’espace public.
Portée par des groupes de droite, elle prévoit l’interdiction du port du niqab, ainsi que d’autres formes non religieuses de dissimulation du visage.
Dans ce contexte souvent très émotionnel, les Suissesses musulmanes se montrent très discrètes. Une des raisons à cela, la crainte des conséquences en cas de prise de position publique.

  • Les femmes musulmanes de Suisse demeurent extrêmement discrètes dans le cadre de cette votation. 123 RF

    Les femmes musulmanes de Suisse demeurent extrêmement discrètes dans le cadre de cette votation. 123 RF

«La société stigmatise les femmes musulmanes, surtout lorsqu’elles sont voilées. S’exprimer est un cheminement difficile pour elles»

Mallory Schneuwly-Purdie, sociologue

L’initiative UDC contre la dissimulation du visage sur laquelle le peuple se prononcera ce dimanche remet la communauté musulmane sur le devant de la scène médiatique suisse. Concernées au premier chef, les femmes musulmanes de Suisse demeurent pourtant extrêmement discrètes sur ce dossier.

Un sujet épineux

La raison de cette discrétion? «L’intersectionnalité des minorités, c’est-à-dire la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de discriminations dans une société, répond la sociologue Dr. Mallory Schneuwly-Purdie du Centre Suisse Islam et Société et spécialisée dans le champ de l’Islam et des musulmans d’Europe. Plus une personne est minorisée, moins elle sera audible». Minoritaires, les musulmanes le sont donc à plus d’un titre. Il y a le fait d’être une femme d’abord, et la constatation empirique que ces dernières s’expriment moins que les hommes dans notre société.

Mais aussi la difficulté d’exprimer des convictions religieuses dans un pays prônant la laïcité, sans compter la lassitude de devoir sans cesse répondre aux préjugés, aux propos détournés et aux attaques infondées visant la communauté musulmane. «On peut adresser un reproche aux médias suisses, continue Mallory Schneuwly Purdie. Lorsqu’ils donnent la parole aux femmes musulmanes, c’est toujours sur un sujet ayant trait à l’Islam, problématique de surcroît. Elles ne sont pas actrices de leur image médiatique, mais répondent à des attaques contre leur religion».

La crainte des conséquences

A cela s’ajoute la crainte des conséquences en cas de prise de position publique, car une femme musulmane paie souvent sa visibilité de harcèlements et discriminations. Résultat: il a été difficile de récolter les témoignages de femmes musulmanes nécessaires à l’élaboration de cet article, car la grande majorité d’entre elles n’ont pas souhaité s’exprimer.

«La société stigmatise les femmes musulmanes, surtout lorsqu’elles sont voilées. S’exprimer est un cheminement difficile pour elles, c’est pourquoi certaines préfèrent rester discrètes, explique Lucia Dahlab, co-présidente des Verts de Vernier et membre de la communauté musulmane. Mais il faut leur tendre la main, et penser à cette discrimination qu’elles endurent quotidiennement et qu’elles ont malheureusement fini par intégrer». Pourtant, malgré ces obstacles, nombre d’entre elles souhaiteraient réhabiliter l’image biaisée que la société suisse se fait d’elles.

La liberté de choisir

«Les femmes musulmanes n’ont plus envie d’être perçues sous un angle misérabiliste. Très conscientes de ce que la majorité pense d’elles, elles veulent s’exprimer pour enfin se défaire de cette image de femmes serviles qui leur colle à la peau», déclare Ines El-Shikh, membre des Foulards violets, un collectif féministe soutenant les femmes ayant fait le choix de porter le voile. Pour ces féministes, la liberté de choisir devrait aussi concerner les femmes désirant porter la burqa, et les collectifs romands appellent unanimement à refuser l’initiative.

Les pour et... les contre!

Les partisans de l’initiative estiment qu’interdire la dissimulation du visage contribue à prévenir les attaques terroristes et d’autres formes de violence. Ils voient aussi dans cette disposition un moyen de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes musulmans, et de libérer les femmes d’une discrimination imposée par une société patriarcale. Ils soulignent en outre que des restrictions similaires sont en vigueur dans d’autres pays et que les interdictions de la burqa déjà introduites il y a cinq ans au niveau cantonal ont été efficaces.

Les opposants au texte affirment au contraire qu’une telle interdiction à l’échelle de la Suisse serait inutile. Elle serait par ailleurs préjudiciable au tourisme et non conforme à la répartition des pouvoirs entre les autorités fédérales et cantonales.Ils ajoutent qu’une interdiction ne permettrait pas de renforcer l’égalité des droits pour les femmes musulmanes ni d’améliorer leur intégration dans la société suisse. PhK