Expulsé après quinze ans de vie à Lausanne

Souffrant de dépression sévère et d’un asthme professionnel contracté en 2010 à son travail, un sans-papiers marocain doit quitter ce 24 mai la Suisse où il est arrivé en 2005. Pour le service de la population du canton, il sera en mesure de recevoir des soins appropriés dans son pays d’origine.

  • Mohamed S. a quitté le Maroc il y a 30 ans et vit à Lausanne depuis 2005. VERISSIMO

    Mohamed S. a quitté le Maroc il y a 30 ans et vit à Lausanne depuis 2005. VERISSIMO

«C’est en travaillant légalement ici que je suis tombé malade»

C’est l’histoire d’une migration ratée comme seul ce siècle d’errances peut en engendrer. Une histoire de mal-développement, de misère humaine et de mauvais choix. Mohamed S. est de nationalité marocaine. Le 24 mai prochain, il devra quitter le territoire suisse, quasiment toutes les voies de recours ayant été épuisées. Comment cet homme de 46 ans, sans aucun antécédent judiciaire a pu en arriver là, lui qui a quitté son pays il y a… 30 ans. A l’époque, Mohamed n’est qu’un adolescent comme les autres qui vit dans une pauvreté extrême au sein d’une famille indigente du Maroc. Comme souvent, les sirènes de l’eldorado européen retentissent pour ce jeune sans formation valable, et les frontières bien poreuses l’amènent clandestinement une première fois en Allemagne, où il aura un fils, aujourd’hui âgé de 26 ans, puis en 2005 en Suisse, après un deuxième chemin d’errance clandestine, via la Turquie, puis la Grèce et l’Italie. «Le destin m’a amené ici alors que je pensais retourner en Allemagne, raconte celui qui dépose alors une demande d’asile à Bâle, avant d’être transféré à Lausanne». Alors que sa demande est rejetée en 2007, il se marie avec une Suissesse. «C’était un mariage d’amour et c’est elle qui a souhaité que l’on se marie lorsqu’elle a su que je voulais rentrer en Allemagne, se justifie-t-il. Parce que là-bas, je savais que je pouvais obtenir un permis de séjour via mon fils».

Qu’à cela ne tienne. Le mariage célébré à Lausanne en 2008, Mohamed S. décroche une autorisation de séjour et travaille, d’abord comme temporaire, puis employé fixe dans une usine de plastique. Sauf qu’il y tombe malade, déclarant un asthme professionnel en raison de son exposition à des produits «de dégradation thermique du PVC». La SUVA reconnaît la maladie et après deux ans d’activité, il est licencié par son entreprise. Il sombre dans la dépression et son mariage bât de l’aile. Sitôt la séparation officiellement déclarée, le Service de la population lui retire son permis avec ordre de quitter la Suisse.

Recours multiples

Nous sommes en 2012, il multiplie aussitôt les démarches et recours pour contester son renvoi, arguant que sa maladie ne pourra pas être soignée correctement au Maroc. Depuis 2010, de nombreux certificats médicaux attestent de sa situation médicale, sans compter une détérioration significative de son état psychique marquée par des dépressions et des addictions multiples. Malgré de nombreuses mesures d’expulsion, il vit de petits boulots et de l’aide d’associations caritatives, s’accroche et refuse de quitter la Suisse: «J’ai reçu des dizaines de lettres pour quitter la Suisse, raconte-t-il. Pourquoi l’aurais-je fait, alors que c’est ici, en travaillant légalement que j’ai contracté ma maladie professionnelle? Du reste que ferais-je au Maroc que j’ai quitté il y a 30 ans, où je n’ai plus aucune attache et où je ne pourrais pas recevoir les soins qu’il me faut?»

Sur le fond, l’état de santé de Mohamed S. est-il compatible avec un renvoi au Maroc? Non, avancent ses médecins: «En raison de l’atteinte respiratoire, il n’est pas sûr que le patient puisse continuer à bénéficier du même traitement qu’en Suisse et la décision de renvoi doit tenir compte de cet élément» écrit ainsi un pneumologue lausannois réputé dans un courrier envoyé au SPOP et daté du 12 janvier dernier. «Vu la situation au Maroc et la situation personnelle du patient (…) un traitement médical dans un contexte pareil serait impossible, ajoute un psychiatre dans un rapport daté du 12 avril, destiné au Secrétariat d’Etat aux migrations. De plus un retour au pays risquerait de mettre sa vie en danger et réactiver certains symptômes d’un état de stress post-traumatique».

Soins adaptés?

Le SPOP quant à lui, s’il ne se prononce pas sur des cas particuliers comme celui de Mohamed S., précise par la voix de Frédéric Rouyart, son chargé de communication, que d’une manière générale les autorités ont l’obligation de «vérifier (qu’une personne qui fournit un certificat médical) aura accès à des soins adaptés à sa pathologie dans le pays de destination». Ajoutant: «Cela ne consiste pas en une simple comparaison de standards des systèmes de santé entre Etats, il s’agit bien de savoir si les soins et les traitements adaptés sont accessibles ou pas dans le pays».

Au final par deux fois, la cour de droit administratif du tribunal cantonal vaudois, dans deux arrêts rendus en 2012 puis en octobre 2020, a rejeté les recours de Mohamed, arguant de sa non insertion professionnelle, de son instabilité financière, de l’absence d’attaches familiales en Suisse et de la disponibilité des possibilités de soin offertes dans son pays d’origine. «J’entends pour ma part interpeller le SPOP pour savoir quelles mesures concrètes il entend prendre pour s’assurer qu’en cas de renvoi effectif, la santé de M. S., ne soit pas mise en danger», conclut quant à lui, Maitre Rachid Hussein, l’avocat dont Mohamed S. vient récemment de s’assurer les services.

"Un immense gâchis", l'éditorial de Charaf Abdessemed

Sans aucun doute, son expulsion programmée la semaine prochaine est tout ce qu’il y a de plus légal, toutes les voies de recours juridiques étant épuisées. Sans aucun doute, son entrée en Suisse s’est faite illégalement. Sans aucun doute encore, la migration depuis son pays d’origine, le Maroc, il y a quasiment 30 ans, était motivée par des raisons strictement économiques. Sans aucun doute enfin, il n’a pas fait  la preuve ni d’un parcours d’intégration sociale et économique de très grande qualité, ni même d’une intelligence telle qu’elle lui aurait permis de contourner les lois à son avantage, ce que tant d’autres avant lui ont su si bien faire.

Mais malgré tout cela, l’histoire erratique de Mohamed S., que nous vous racontons ci-contre, interpelle.  Pour au moins deux raisons. La première est que ce Lausannois depuis 15 ans a contracté une maladie professionelle alors qu’il travaillait légalement sur le territoire vaudois. Certes, la maladie n’est pas létale mais elle est réelle et des médecins ont estimé que chronique, elle ne saurait être prise en charge correctement dans son pays. A ce titre-là, elle génère une dette si ce n’est légale, mais éthique à son encontre qu’il semble difficile de balayer d’un revers de main.

La deuxième raison est l’invraisemblable délai entre la perte de son permis de séjour et l’entrée en force de son expulsion:_9 longues années. Un délai qui s’explique par les délais de recours, légitimes dans un état de droit, mais qui  à l’échelle du parcours d’une vie sont inacceptables.

Au final, le cas de Mohamed S.  donne le sentiment d’un immense gâchis dont il doit assumer la responsabilité à titre individuel, mais que nous nous devons également de prendre à notre compte à titre collectif.