Ecoles: un climat d’angoisse peu propice à l’apprentissage?

Des enseignants romands ont créé un collectif anonyme afin de favoriser le dialogue concernant les impacts de la crise sanitaire sur la santé des écoliers.
Son but: interpeller les instances dirigeantes au sujet des conséquences physiques et psychologiques sur les enfants, mais également sur le corps enseignant.
Mis en arrêt maladie car dispensés de port du masque, deux enseignants témoignent et dénoncent une «omerta sanitaire»

  • Certains enseignants dénoncent une omerta autour de la cris sanitiare. 123 RF/PHOTO D’ILLUSTRATION

    Certains enseignants dénoncent une omerta autour de la cris sanitiare. 123 RF/PHOTO D’ILLUSTRATION

«Il y a une omerta autour de cette crise sanitaire»

Simon, enseignant au post-obligatoire

«En tant qu’enseignante aux degrés 1-2P, j’ai constaté comment le port du masque m’empêchait en grande partie d’effectuer mon travail correctement. Les petits ont besoin de voir les expressions faciales, de visualiser l’articulation des mots, surtout les enfants allophones. Ils ont besoin d’un climat de sécurité. Actuellement, c’est la distanciation, la peur et l’angoisse qui prévalent. Le climat n’est pas propice à l’apprentissage», témoigne Lisa *. Les questions qu’elle se posait à propos de sa capacité à enseigner convenablement dans cette situation, d’autres de ses collègues se les posaient aussi. C’est pourquoi, de ce petit groupe, est né un collectif d’enseignants anonymes, comportant actuellement une centaine de professeurs et quelques éducateurs de la petite enfance. Leur but: discuter de leurs expériences personnelles, et alerter les autorités sur l’impact des mesures sanitaires sur le climat scolaire.

Enfants et enseignants angoissés

Elle poursuit :«Des enfants doivent supporter la pression de l’école, parfois de leurs parents, qui sont dans l’angoisse. Ils n’osent pas se toucher, se regarder…». Des enseignants angoissés qui demandent aux élèves de s’éloigner pour qu’il n’y ait pas de contact physique… «Le milieu scolaire est l’un des plus atteints. Les enfants doivent protéger les adultes… c’est le monde à l’envers!»

Simon*, enseignant au post-obligatoire, rapporte l’inconfort et la souffrance des jeunes adultes: «Je constate une anxiété plus grande qui se manifeste par une baisse de réflexion, des moments d’apathie, sans parler des inquiétudes liées au monde du travail. C’est lourd à porter physiquement, psychologiquement, et cela rompt la communication.»

«Omerta sanitaire»

Une communication qui devrait être primordiale en ces temps incertains. Mais qui ne peut pas se faire en classe. «Il y a une omerta autour de cette crise sanitaire, poursuit-il. Nous n’avons pas le droit d’émettre d’opinions, ni de simples questionnements en classe. Même répondre aux élèves peut se retourner contre nous. Pourtant, les jeunes attendent des réponses, il y a du débat.»

Avec ce collectif, «le principal est d’ouvrir le dialogue, explique Simon. Nous sommes bombardés d’une seule version, présentée comme la vérité absolue. Or, il y a des voix divergentes. Nous aimerions que notre direction admette qu’elle n’a pas la science infuse.» Plusieurs membres du collectif ont déjà écrit aux départements de la formation des différents cantons romands dans lesquels ils enseignent, et comptent poursuivre jusqu’à l’obtention de réponses à leurs questions.

Un autre élément vient se greffer à ce sombre tableau. Il y a quelques mois, ces deux enseignants ont été abasourdis de se faire convoquer auprès de leur direction après avoir présenté leur certificat médical attestant d’une dispense de port du masque, pour raisons médicales (lire encadré).

«On m’a dit: soit vous portez le masque, soit vous êtes en arrêt maladie. Pourtant, j’étais disposée à porter une visière, mais la Direction générale de l’enseignement obligatoire m’a répondu qu’aucun aménagement n’était possible. C’est aberrant, je ne suis pas malade, je peux prendre les transports publics, faire mes courses, mais je ne peux pas exercer mon métier.»

Au sein du collectif d’enseignants, environ cinq personnes seraient dans la même situation. Leur espoir: qu’une réflexion soit menée plus haut, convaincus que «les solutions sont possibles et que les places de travail peuvent être aménagées», concluent-ils.

(*) prénoms d’emprunt, identités connues de la rédaction.

Pas sans masque dans l'école vaudoise

L’ordonnance fédérale accepte la dispense de port du masque, sur présentation d’un certificat médical. L’article 4 (Plan de protection), dans lequel les établissements de formation sont explicitement inclus, stipule qu’«en présence de personnes exemptées […] il est impératif de respecter la distance, ou de prendre d’autres mesures de protections efficaces […]». Or, dans l’école vaudoise, cette exception ne tient pas.

Sur décision conjointe des Départements de la santé et de la formation, «les enseignant-e-s ne sont pas autorisé-e-s à travailler sans masque», explique Julien Scheckter, délégué à la communication du Département de la formation (DFJC). «Lorsqu’un enseignant présente une dispense, Unisanté rend une décision d’inaptitude temporaire, ou conditionnelle.» Aucune autre mesure ne pouvant compenser le port du masque, cela équivaut donc à un arrêt maladie. Par respect du secret médical, le DFJC ne possède pas de statistiques détaillées permettant de savoir combien d’enseignants sont en arrêt maladie pour cette raison. «Mais nous savons que c’est marginal au vu des quelques 13700 enseignants du canton», informe Julien Scheckter.