Désobéissance civile: le cas «Gnoni» divise la classe politique

Elue au conseil communal, la Verte Sara Gnoni s’implique activement dans les actions d’Extinction Rebellion.

L’objectif est d’éveiller les consciences sur l’urgence climatique.

Problème: l’élue a prêté le serment de «contribuer au maintien de l’ordre», ce qui suscite un débat disputé.

  • Les militants du groupe «Extinction Rebellion» ont bloqué à plusieurs reprises des artères lausannoises de manière non violente. VERISSIMO

    Les militants du groupe «Extinction Rebellion» ont bloqué à plusieurs reprises des artères lausannoises de manière non violente. VERISSIMO

«La démocratie suisse donne des outils au citoyen qui souhaite faire avancer sa cause»

Xavier de Haller, conseiller communal PLR

«Honteux», «inacceptable», «indigne d’une élue»... Les mots n’ont pas manqué pour fustiger une démarche qualifiée également de «faillite du devoir d’exemplarité». Au point que l’affaire a même fait l’objet d’une question orale au conseil communal, en décembre dernier.

Mais de quoi s’agit-il? Depuis plusieurs mois, et se prévalant de «l’urgence climatique», des militants d’un mouvement appelé «Extinction Rebellion» se distinguent à Lausanne par des actes de désobéissance civile, blocage de la Rue Centrale, du Pont Bessières, etc. Des actes illégaux, qui ont à plusieurs reprises occasionné de nombreuses perturbations dans le trafic au centre-ville et des interventions policières.

Parmi ces activistes, une élue Verte au conseil communal de Lausanne, Sara Gnoni. Et c’est là que pour nombre de partis, le bât blesse. Car en entrant en fonctions, Sara Gnoni a prêté serment, promettant selon le texte officiel, «d’être fidèle à la constitution fédérale et à la constitution du canton de Vaud» et surtout «de contribuer au maintien de l’ordre, de la sûreté et de la tranquillité publics».

Difficile de trouver plus en contradiction avec les actions de désobéissance civile menées par Extinction Rebellion. Contactée, l’élue, dans la grande tradition des mouvements de désobéissance civile, assume pleinement ses actes: «Je sais très bien que nos actions ne sont pas autorisées, mais il s’agit d’un acte de désobéissance civile justifié par l’urgence climatique et les drames humains qui y sont liés, explique-t-elle. Et bien évidemment, je suis consciente qu’une telle démarche polarise, mais mon point de vue est que l’engagement d’une élue dans ce type d’action est important pour réveiller les consciences et susciter le débat! ».

Précédents

La conseillère communale verte n’est pas la première à s’être affranchie de ses devoirs d’élue, au nom d’un intérêt supérieur. En 2016, David Payot avait ainsi annoncé qu’il était prêt à protéger un migrant menacé de renvoi en l’accueillant chez lui, en 2017 c’est le démocrate chrétien Manuel Donzé qui avait officiellement annoncé la présence à son domicile d’un réfugié afghan débouté.

L’affaire en tout cas, divise: si l’extrême gauche ne ménage pas son soutien à Sara Gnoni - «Il est parfaitement légitime d’user de la désobéissance civile comme d’un outil politique et il n’y a aucune raison qu’un élu ne le fasse pas», lance ainsi Pierre Conscience de Solidarités - la droite en revanche ne trouve pas de mots assez durs pour condamner la démarche. «Lors du débat sur les violences policières, plusieurs élus du groupe Les Verts ont argumenté qu’il était important que les policiers soient encadrés pour respecter les lois, fustige le PLR Xavier de Haller. Or une de leurs élues les bafoue elle-même, ce qui est un très mauvais signal pour une conseillère communale.» Et d’ajouter: «On ne peut pas se prévaloir d’un intérêt supérieur tel que l’on en arrive à effacer toutes les règles, c’est mettre en échec notre état de droit, d’autant que, faut-il le rappeler, la démocratie suisse est pensée pour donner des outils au citoyen qui souhaite faire avancer sa cause. Pour preuve, l’initiative sur les glaciers a abouti».

Même son de cloche pour Nicola Di Giulio, conseiller communal libéral-conservateur: «Sara Gnoni est assermentée, elle a donc le devoir de respecter les lois et de donner l’exemple en tant qu’élue».

A gauche, l’embarras...

Partis largement représentés à la Municipalité, les Verts et leurs alliés socialistes, légèrement embarrassés aux entournures, assurent à leur élue un soutien que l’on peut qualifier de... nuancé. «Nous soutenons nos élus dans leurs démarches de désobéissance civile, dès lors que celles-ci sont opérées distinctement de notre parti, ce qui est le cas ici, ajoute Xavier Company, co-président des Verts lausannois. La participation ou non à ce type d’action de désobéissance, qui je le rappelle ont eu un rôle important dans l’histoire contemporaine, relève de la liberté de nos élus et il revient à chacun de définir lui-même où est la limite et jusqu’où il peut aller ».

«Sara Gnoni s’engage dans un mouvement de désobéissance civile, mais par son action elle cherche à attirer l’attention sur la problématique du climat avec des actions pacifiques, concède Denis Corboz, le président du PS lausannois. Je ne trouve pas cela particulièrement problématique, car c’est une cause vitale et cela permet de faire avancer le débat. Par contre, j’estime que les personnes qui s’engagent dans cette voie doivent être prêtes à en accepter les conséquences».

Charaf Abdessemed

Désobéir... ou pas? l'éditorial de Philippe Kottelat

Le nom de Henry David Thoreau vous dit-il quelque chose? Au-delà de ses écrits, ce philosophe et poète américain, mort en 1852, a commis un acte qui est resté gravé dans beaucoup de mémoires. Refusant de payer des impôts pour financer la guerre que l’Amérique lance alors contre le Mexique, il est arrêté et emprisonné. Peu après, il théorise son action et invite, dans un pamphlet, à la désobéissance face aux lois injustes. Un geste symbolique et courageux qui inscrit la désobéissance civile dans l’Histoire.

Refuser de manière assumée et publique de se soumettre à une loi, à un règlement ou un pouvoir jugé injuste par ceux qui le contestent, tout en faisant de ce refus une arme de combat pacifique, telle est la «doctrine» Thoreau qui va faire beaucoup d’émules célèbres: les grandes figures du pacifisme comme Ghandi, Martin Luther King ou encore Mandela. Et bien d’autres! Dans ces contextes bien précis, la désobéissance civile est une méthode qui a fait ses preuves.

Mais qu’en est-il aujourd’hui face à l’urgence climatique alors que de jeunes activistes non violents s’y réfèrent? Ils invoquent un type d’action légitime dans le cadre d’une urgence qui engendre des drames humains. Face à cela, la classe politique est divisée dans un clivage gauche-droite traditionnel, la droite réprouvant ce type d’actions dans une démocratie qui fonctionne, comme en Suisse, alors qu’à gauche, à défaut de s’engager activement, on fait preuve d’une compréhension mêlée d’embarras. Même dans le cas délicat où une élue, qui a prêté serment, la Verte Sara Gnoni en l’occurence (lire ci-contre), assume sa participation à de telles actions.

La résistance à la loi. Désobéir ou pas. Un thème aussi vieux que la pensée politique. Et qui divise, visiblement, toujours autant!