Des Lausannoises harcelées par des livreurs de repas

TEMOIGNAGES • Drague lourde, harcèlement, messages inappropriés, plusieurs femmes dénoncent le comportement de certains coursiers. Les principales plateformes actives dans la région lausannoise condamnent ces agissements.

  • Les plateformes de livraison assurent prendre toutes les mesures pour protéger la sécurité de leurs clientes. 123RF

    Les plateformes de livraison assurent prendre toutes les mesures pour protéger la sécurité de leurs clientes. 123RF

«J’ai commencé à avoir peur, c’est uniquement après avoir haussé le ton qu’il est parti»

Marie*, habitante du quartier Sous-Gare à Lausanne

Chaque semaine ou presque, Marie* se fait livrer des pizzas à domicile. Cette habitante du quartier Sous-Gare à Lausanne ne se doutait pas un instant de ce qui allait se produire ce soir de juin dernier: «Comme toujours, j’ai passé ma commande via une application de livraison à domicile. Après une heure environ, le livreur a sonné à ma porte pour me donner mes pizzas. J’ai tout de suite remarqué que son attitude était bizarre, c’était comme s’il n’avait pas envie de partir. Je l’ai remercié et lui ai même laissé un petit pourboire.»

Deux heures plus tard, à environ 22h30, on sonne à nouveau à sa porte. «J’ai ouvert instinctivement, ce qui a été une erreur car je me suis retrouvée face au livreur. Il m’a invitée à aller boire un verre. Malgré mes refus, il a insisté de nombreuses fois. J’ai commencé à avoir peur, c’est uniquement après avoir haussé le ton qu’il est parti.»

«Bonjour chérie»

La mésaventure de Marie n’est malheureusement pas isolée. Dans le quartier de Bellevaux, Giorgia* a également été choquée par l’attitude d’un coursier. Alors qu’elle attendait sa commande de plats thaïlandais, elle reçoit un message via l’application de la plateforme de livraison: «Bonjour chérie, je me trouve devant votre immeuble». Et la drague lourde ne s’arrête pas là: «Je lui ai répondu qu’il n’avait qu’à laisser la commande derrière la porte, mais il est resté sur place jusqu’à ce que je finisse par ouvrir. Je me souviens avoir récupéré mes plats en ayant la boule au ventre et je lui ai dit fermement de s’en aller.» Quelques minutes après, elle contacte l’entreprise de livraison par message en l’incitant à prendre les mesures appropriées vis-à-vis du livreur. La réponse ne tarde pas: «Nous sommes navrés d’apprendre que votre partenaire de livraison n’a pas agi de manière professionnelle. Nous vous suggérons de transmettre ce commentaire directement à votre partenaire.» Ce qui stupéfait Giorgia: «L’entreprise s’en lave les mains et me propose d’en parler à celui qui m’a dragué! C’est délirant!»

Les plateformes s’expliquent

Contactées, les trois principales plateformes de livraison opérant dans la région lausannoise précisent qu’elles font le maximum pour assurer la sécurité de leurs clientes: «Ce sont des événements regrettables que nous condamnons fortement, précise Luise Kull, directrice marketing chez Smood. Nous avons fait le choix de n’avoir que des livreurs salariés, cela nous permet de savoir précisément qui travaille pour nous. Et d’éviter ce type de problèmes.» En outre, la société ajoute qu’elle dispose d’une hotline et d’un responsable de terrain dont la mission consiste à surveiller et contrôler les opérations. Même son de cloche chez Uber Eats: «Nous prenons des actions immédiates dès qu’un signalement d’agression ou de harcèlement nous est fait: suspension de compte du livreur mis en cause, prise de contact avec la victime et collaboration avec les autorités dans le cas d’un dépôt de plainte.» Séverine Linda Götz, porte-parole chez Just Eat, abonde: «Nous attendons de nos propres chauffeurs, ainsi que de ceux livrant pour un restaurant qu’ils agissent de manière responsable et respectueuse à tout moment. Si le comportement requis n’est pas respecté, nous prendrons les mesures appropriées après avoir évalué le cas.» Des réponses qui ne convainquent pas vraiment Giorgia: «Ces plateformes ont certainement de bonnes intentions, mais quand j’ai dû leur signaler ma mésaventure, la réalité était loin des beaux discours et je me suis sentie bien seule.»

*prénom fictif, identité connue de la rédaction

Des garde-fous à repenser, l'éditorial de Fabio Bonavita

A Lausanne, la livraison de repas à domicile est en plein boom. Conséquence logique des fermetures répétées des restaurants depuis le début de la pandémie. Cette hausse de la demande, qui dépasse souvent les 50%, provoque aussi une multiplication des conflits entre les clients et les plateformes de livraison: commandes erronées, retards, mais aussi comportements inacceptables de certains coursiers.

Des cas qui restent heureusement encore minoritaires. Néanmoins, ils soulèvent une série de questions: la protection des consommateurs est-elle suffisante? Sont-ils entendus quand ils signalent un cas grave? Au vu des témoignages récoltés, on peut se permettre d’en douter. En effet, le service après-vente se contente encore trop souvent du strict minimum quand le client fait part de son mécontentement ou de sa colère.

Quand il s’agit d’une commande incomplète, passe encore, mais lorsque l’on parle de harcèlement (lire ci-contre), la ligne rouge est franchie. Espérons que les géants de la livraison à domicile en prennent conscience en se penchant encore plus sérieusement sur les garde-fous visant à protéger leurs clients… et leurs clientes. Si des efforts sont faits, la marge de progression demeure importante…