Covid19 - Grippe: vers un scénario catastrophe?

EclairageRédigé par Charaf Abdessemed

Comme chaque année, la grippe va arriver, avec des dizaines de milliers de cas annoncés.
Cette année, c’est toutefois dans un contexte bien particulier, l’épidémie de coronavirus battant encore son plein.
Ça l’est d’autant plus que plusieurs symptôme de la grippe et du covid sont communs.

  • Avec des symptômes très voisins, un dépistage sera indispensable pour identifier le virus dont les patients seront atteints. DR

    Avec des symptômes très voisins, un dépistage sera indispensable pour identifier le virus dont les patients seront atteints. DR

«Le système de santé pourrait être mis sous pression par la concomitance de deux épidémies»

Yann Hulmann, porte-parole de l’OFSP

Alors que les premiers frimas de l’automne se manifestent déjà, monte une interrogation lancinante en cette période particulière. Que va-t-il se passer avec l’arrivée inéluctable du virus de l’influenza, la célèbre grippe qui, chaque année, cloue au lit des dizaines de milliers de malades et en tue pas mal d’ailleurs, alors que le germe va devoir cohabiter avec un nouveau compagnon, le Covid 19.

Difficile de prédire l’avenir pour faire taire les inquiétudes légitimes qui s’expriment ça et là. Si certains paramètres peuvent apparaître comme rassurants, d’autres en revanche annoncent d’ores et déjà des difficultés.

Double dépistage

En premier lieu, la question du diagnostic: «Plusieurs symptômes de la grippe et du covid sont communs, surtout en début d’infection, observe le Dr Oriol Manuel, médecin adjoint du Service des maladies infectieuses du CHUV. Les patients qui présenteront de la fièvre, une toux, des courbatures, auront donc soit l’une soit l’autre des deux maladies. Il faudra donc que le médecin de premier recours puisse demander systématiquement 2 tests rapides pour différencier chacune des deux infections». «Avec l’hiver il n’y a pas seulement la grippe, on fait face à une multitude de virus respiratoires dès l’automne et qui toucheront enfants et adultes, avec des symptômes compatibles, renchérit le médecin cantonal, le Dr Karim Boubaker. L’enjeu sera donc en effet de pouvoir dépister toutes les personnes concernées et de faire le tri».

L’autre facteur d’inquiétude, induit par la concomitance des deux maladies, est bien entendu le risque de surcharge du système de santé, déjà traditionnellement très fortement sollicité durant les périodes de pics de grippe, un risque reconnu par l’Office fédéral de la santé publique. «Le système de santé pourrait être mis sous pression par la concomitance de deux épidémies admet ainsi son porte parole Yann Hulmann. C’est la raison pour laquelle toutes les mesures proportionnées qui permettent de réduire le risque seront utiles».

Risque-t-on donc de ce fait de devoir affronter une situation similaire à celle des mois de mars à mai quand les services de santé tournaient à plein régime? Peut-être pas. Et pour une raison simple: les gestes barrières auxquels nous nous sommes habitués (distanciation, masque, désinfection des mains) ont non seulement pour effet de limtier la propagation du covid, mais aussi de la grippe. «Toutes les mesures anti-covid devraient provoquer une diminution de la transmission de la grippe, observe le Dr Manuel. Il est donc tout à fait possible que cette année, la grippe soit moins intense et touche moins d’habitants».

Reste enfin une arme qui pourrait encore contribuer à diminuer le risque de concomitance des deux maladies: la vaccination contre la grippe. Aux USA, les autorités sanitaires viennent ainsi de préconiser la vaccination systématique de toute la population âgée de plus de… 6 mois.

Stratégie habituelle

Une démarche que l’Office fédéral de la santé publique ne retient pas à l’heure actuelle : «Il y aura un intérêt à diminuer le nombre d’infections grippales en général, d’une part afin d’éviter le cumul de la charge liée aux cas de grippe et aux cas de Covid-19 dans les services de santé, d’autre part afin de réduire le nombre de personnes ayant des symptômes suspects de Covid-19, qui devront se faire tester. Cela étant, la stratégie habituelle de prévention des cas de grippe sévère au moyen de la vaccination des personnes à risque accru de complications et de leur entourage s’appliquera comme d’habitude, annonce Yann Hulmann. Le vaccin est recommandé comme les années précédentes aux personnes à risque accru de complications de la grippe, ainsi qu’aux personnes qui ont des contacts réguliers avec elles pour des raisons professionnelles ou privées.»

Seulement voilà: au vu de la situation actuelle, il y a fort à parier que les candidats à la vaccination contre la grippe seront cette année bien plus nombreux que d’habitude. Avec une interrogation : le nombre de vaccins disponibles sera-t-il suffisant pour répondre à la demande? «En termes de doses de vaccin à disposition, répond l’OFSP, le marché suisse est assuré de disposer d’un nombre équivalent à l’an dernier (1,2 millions de doses). L’OFSP travaille à assurer des doses supplémentaires de vaccins au marché suisse.»

Peut-on attraper les 2 maladies en même temps?

Oui, répond Karim Boubaker, le médecin cantonal. «Il est tout à fait possible que le covid se rajoute à la grippe, explique-t-il, tout comme d’ailleurs des infections bactériennes, qui se produisent parfois en cas de complications». Un avis partagé par le Dr Oriol Manuel, médecin adjoint du Service des maladies infectieuses du CHUV: «On peut logiquement imaginer qu’avoir la grippe péjore le pronostic du Covid et vice versa. Mais pour l’instant, nous avons très peu de données sur la survenue simultanée des deux infections en Suisse. Car le covid a commencé au moment où la grippe de 2020 se terminait. Il y a donc très peu de cas renseignés de deux infections en même temps.

Savoir que l’on ne sait pas, l'éditorial de Charaf Abdessemed

En matière de santé publique, la prospective est un art difficile. Et pourtant c’est bien ce que l’on attend de la science: toujours être capable d’apporter des preuves vérifiables et... reproductibles, et ce afin de pouvoir justement prévoir l’avenir. Seulement voilà, la science tâtonne, hésite, se contredit longtemps avant d’établir des dogmes qui un jour seront appelés à être remis en question.

La Covid 19 en est la preuve. Et même si les connaissances à son propos commencent à s’accumuler, à une vitesse quasiment sans précédent dans l’histoire de la recherche médicale, il reste encore beaucoup à apprendre. Si bien que l’arrivée prévue de la grippe dans les semaines à venir va introduire, encore, de nouveaux éléments d’incertitude. La réflexion est les connaissances actuelles invitent ainsi à des scénarios très différents, aussi bien optimistes, que pessimistes. D’une grippe, par bonheur jugulée par les mesures anti-covid, à une surcharge catastrophique à laquelle les structures de soins doivent nécessairement se préparer à faire face (lire l’article ci-contre).

Face aux incertitudes scientifiques, il appartient aux autorités de faire ce pour quoi elles ont été élues: gouverner, au risque de prendre des décisions dont la suite des événements démentira la pertinence. C’est donc d’ores et déjà travailler à renforcer les institutions sanitaires, mais aussi à prévoir en suffisance des doses de vaccin anti-grippal qui pourrait tout à fait se révéler passablement inefficace. D’où un dernier versant, indispensable: tenir un langage de vérité en avouant à la population que l’on ne sait pas tout et que l’on fait ce que l’on peut avec ce que l’on a, dans le contexte particulier où l’on est. Un langage de vérité qui sera sans nul doute, aussi difficile à dire qu’à... entendre.